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Bren Smith, le fermier qui pratique l’agriculture océanique régénératrice, redonne vie à la vie

En cultivant des algues et fruits de mer, Bren Smith redonne vie à l’océan. Et avec GreenWave, organisation à but non lucratif, il essaime cette agriculture océanique régénératrice.

Le 02/04/2024 par Claire Gollot
Bren Smith. Crédit : Claire Gollot
Bren Smith. Crédit : Claire Gollot

Dans son livre, Le Fermier des océans*, sorti en mars 2024, ce Terre-Neuvien canadien raconte de façon ébouriffante sa rédemption écologique. Bren Smith est en effet passé du statut de pêcheur destructeur des écosystèmes à la fin des années 80 à celui d’agriculteur océanique régénérateur. Sa reconversion débute par l’aquaculture après la fermeture de la pêche à la morue en 1992.

Mais parce qu’il faut plusieurs kilos de poissons sauvages pour nourrir 1 kg de saumon d’élevage, il devient ostréiculteur dans les îles Thimble… Avant de mettre au point un ingénieux système de culture verticale de laminaires et de coquillages. Depuis plus de 10 ans, il diffuse via l’ONG GreenWave, ce modèle d’agriculture océanique régénératrice. Lumière sur ce quinqua que le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, qualifie de « héros ».

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Un métier qui remplit l’âme

Bren Smith est né au début des années 70 à Maddox Cove, un petit village isolé de pêcheurs sur l’île de Terre-Neuve, au Canada. Une vingtaine de maisons, une usine de poissons, une coopérative de pêche, le tout rehaussé de peintures vives – rouge, vert, bleu… – pour retrouver son chemin dans le brouillard. Tout ce qu’il voulait être, c’était pêcheur. « Un travail qui remplit l’âme, selon ses mots. Un métier, comme mineur, agriculteur, sidérurgiste…, sur lequel les gens écrivent et chantent des chansons. » Il a donc abandonné ses études à 14 ans pour partir en mer, lui qui n’a jamais su nager.

Après quelques années à pêcher le homard, il se rend à 17 ans dans les eaux de Béring. Mais parce que l’industrialisation des océans est à son apogée, le petit pêcheur devient pilleur globalisé. « On utilisait des hélicoptères pour identifier les poissons, c’est comme si nous étions trop bons dans ce que nous faisons… », assène-t-il. La fermeture de la pêche à la morue par le gouvernement fédéral canadien, le 2 juillet 1992, met 30 000 personnes au chômage. C’est à ce moment-là que Bren Smith voit son envie de piller passer.

En quête de durabilité

« Quand les capitaines voulaient pêcher le dernier poisson, ceux d’entre nous qui étions plus jeunes voulions mourir sur nos bateaux un jour, dans 50 ans. Je me suis donc lancé dans une recherche de durabilité, sans savoir ce que signifiait ce mot. Comme une recherche de différence… » Il travaille alors dans une ferme d’élevage de saumons, rêvant le premier matin de devenir pionnier du développement durable. Cependant en quelques jours, les eaux sombres de l’élevage industriel le rattrapent en le transformant à nouveau en pilleur de la mer.

« Les saumons d’élevage sont collés les uns aux autres, ils mangent une quantité incroyable de poissons sauvages… Ça ne peut pas être la solution. Ce que j’ai retenu c’est qu’il est très difficile d’élever des créatures qui ne cherchent qu’à s’enfuir et qu’il est nécessaire de nourrir. Nous devons plutôt considérer l’océan comme un espace agricole singulier. Et lui demander directement ce qu’il faut cultiver… »

Bren Smith

Toucher le fond…

Il revient alors sur terre durant quelques années, où il apprend entre autres l’art de la vente à New York. « J’ai appris que les gens n’achetaient pas des choses [des magnets, en l’occurrence] mais des histoires. » Au début des années 2000, il décroche le droit de cultiver des huîtres sur une dizaine d’hectares, en qualité d’exploitant, et non de propriétaire. Après une année « merdique », il acquiert finalement tant la main verte que la main bleue et rencontre le succès.

Alors qu’il nourrit ses semblables depuis presque dix ans, l’ouragan Irene, en août 2011, frappe sa ferme. Tout est à reconstruire. Une année à peine plus tard, Sandy, un autre ouragan, ne laisse derrière lui aucune de ses huîtres vivante. Bren, devenu fermier, se voit être le canari dans la mine de charbon. Celui qui se sacrifie pour donner l’alerte avant le coup de grisou… climatique. « Mais là, le grisou arrivait avec un siècle d’avance sur le calendrier, lâche-t-il. Not a slow lobster boil [pas comme l’ébullition lente du homard, NDLR] », explique-t-il.

… pour mieux se tourner vers une agriculture régénératrice

La mer change – dérèglement climatique, acidification, surpêche – et Bren comprend que c’est à lui de s’adapter. Alors il étudie, synthétise les bonnes idées de mille ans de culture des océans… Et petit à petit, il met au point une ferme verticale, vraiment flexible, sur plusieurs niveaux. Comme un jardin sous l’eau, construit avec des ancres, capables de résister aux vents les plus violents, des lignes, des bouées et quelques échafaudages de cordes.

Déterminé à cultiver en toute saison, il intègre les algues – culture d’hiver – à son projet. Le varech pousse alors verticalement vers le bas, à côté des pétoncles dans des filets suspendus et des moules maintenues en suspension dans des chaussettes en maille. Au niveau du fond marin des huîtres sont encagées, et des palourdes enfouies dans la boue. Il cultive donc algues et coquillages sans aucun intrant, ni engrais, ni nourriture, ni terre, ni eau douce.

Aujourd’hui et demain

Vingt ans après la création de sa ferme océanique, Bren continue à cultiver ses 10 hectares. Il a été désigné comme « l’une des 25 personnalités qui écrivent le futur » par le magazine américain Rolling Stone. Son succès, il le tient bien sûr par le fait que son modèle fonctionne sans intrant, mais aussi parce qu’il redonne vie à la vie. Soit le propre d’une agriculture régénératrice. En effet, les laminaires qui font partie des plantes à la croissance la plus rapide captent plus de carbone que les plantes terrestres. Et les coquillages, qui absorbent aussi le carbone, contribuent à filtrer l’azote de l’eau – jusqu’à 200 litres d’eau par jour.

Ces laminaires sucrées captent cinq fois plus de dioxyde de carbone que les plantes terrestres.

Bren Smith et l'agriculture régénérative océanique

Une ferme en polyculture, durable à la fois économiquement et écologiquement.

Parce que sa ferme est réplicable, Bren Smith a cofondé GreenWave. Cette organisation à but non lucratif a pour but de former la nouvelle génération de fermiers des océans. Au début, c’était une petite structure. Le succès aidant, 8 000 personnes se sont inscrites aux Etats-Unis ; et des gens de plus de 100 pays différents se sont eux manifestés pour se former.

GreenWave, c’est un centre d’apprentissage open source, online, avec 80 vidéos, des programmes d’apprentissage, des outils de conception de fermes… Et un un fonds – Kelp Climate Fund – qui permet de verser des subventions afin de soutenir les agriculteurs, puis de leur fournir des données et des réponses. Une communauté de 6 000 fermiers des océans à travers le monde – en Europe, Amérique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, etc. – travaille pour développer ce modèle, innover et faire encore mieux que Bren.

Bren Smith est prochainement tête d’affiche de documentaires sur Canal+ qui seront diffusés courant avril.

*Le fermier des océans. On peut tous changer de vie, Bren Smith, éditions L’arbre qui marche, traduction Rémi Boiteux,mars 2024, 320 pages, 21,90 . Version numérique : 10,99 .

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