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Les entreprises familiales, moins polluantes que la moyenne

C’est un fait : en moyenne, les entreprises familiales polluent systématiquement moins que les entreprises non familiales. Mais qu’est-ce qui explique cela ? Une étude y répond.

Le 29/05/2023 par The Conversation
Bakers bake small rolls together in bakery as a family manufactory
Bakers bake small rolls together in bakery as a family manufactory

Toutes les entreprises partagent-elles le même souci environnemental ? La littérature en finance d’entreprise révèle que la volonté de léguer une affaire pérenne à ses enfants fait grandir un souci du long terme au sein des entreprises familiales. Les groupes familiaux ont également tendance à accorder plus d’importance aux enjeux non financiers. Il est d’ailleurs plus facile de s’en préoccuper dans les entreprises familiales car les propriétaires y sont souvent dirigeants osu bien les uns et les autres sont-ils issus du même arbre généalogique.

C’est pourquoi, dans une étude récente, nous explorons l’hypothèse qu’une entreprise détenue par une famille et transmise de génération en génération enregistre des niveaux de pollution plus faibles. Nous évaluons ainsi l’impact de différents systèmes de propriété et de gouvernance sur les niveaux de pollution des entreprises.

Des niveaux de pollution très variables pour des entreprises sur un même secteur

Cette recherche permet d’offrir des éléments de réponses à un phénomène encore mal compris par la science économique : pourquoi observe-t-on des niveaux de pollution différents d’une entreprise à l’autre lorsqu’elles exercent dans le même secteur, au sein d’un même pays et qu’elles présentent des caractéristiques financières similaires ?

La réflexion est cruciale. Les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne cessent de nous alerter : le changement climatique constitue un problème pressant, menaçant le bon fonctionnement des sociétés et mettant des vies humaines en danger. Parce que la pollution est conséquence de l’activité économique, la science économique a un rôle clé à jouer pour éviter le pire.

12,8 tonnes de CO₂ par million de dollars de revenus de moins

La propriété familiale est la forme de propriété la plus répandue dans le monde. Les entreprises familiales vont de la boulangerie locale à l’entreprise multinationale et la France en abrite des plus connues. La famille Mulliez, par exemple, possède plusieurs chaînes telles que Auchan, Decathlon, Boulanger ou Leroy Merlin. Ce groupe multigénérationnel est souvent citée comme un exemple typique de modèle de propriété familialeRobertet SA autre exemple, est un fabricant de parfums et d’arômes fondé en 1850. Il est détenu par la famille Maubert, qui représente 67,5 % des droits de vote.

Nombre de ces entreprises sont directement dirigées par des membres de la famille qui agissent en tant que PDG ou occupent des postes de direction. Chez Hermès International, un grand nombre des positions clés sont occupées par la sixième génération des descendants De Seynes et Dumas du fondateur Thierry Hermès.

Comparées aux autres, les entreprises familiales tirent leur épingle du jeu

Pour comprendre leur rapport à l’environnement, nous employons des données sur 6 610 entreprises de 44 pays différents entre 2010 et 2019. Il ne s’agit pas de déclarations des entreprises, mais de mesures précises estimant leurs niveaux d’émissions de carbone. Nous pouvons suivre leurs émissions au cours des dix dernières années. Et les comparer aux niveaux de pollution des entreprises non familiales au cours de la même période.

En moyenne, dans notre échantillon, chaque million de dollars de revenus génère 124 tonnes de CO2. Notons que cela ne correspond qu’aux émissions directes : les chiffres se trouvent plus élevés lorsqu’ils incluent les émissions indirectes. Néanmoins, quand les émissions s’élèvent à 144 tonnes de CO2 par million de dollars de revenus pour les entreprises non familiales, elles ne sont que de 83 tonnes pour les entreprises familiales. La différence est conséquente, statistiquement significative et c’est une constante tout au long de la décennie observée.

L’écart reste observable même lorsque l’on regarde à l’intérieur d’un même secteur et d’une même aire géographique : en moyenne, les entreprises familiales polluent systématiquement moins que les entreprises non familiales.

Les différences d’intensité des émissions pourraient néanmoins s’expliquer par des caractéristiques différentes des entreprises familiales et non familiales. Les premières sont en moyenne plus petites et possèdent moins d’actifs corporels. Dans ce cas, les différences observées pourraient n’être qu’un artefact statistique.

Pour s’assurer que c’est bien le type de propriété qui explique les différents degrés de pollution entre les deux types d’entreprises, nous avons effectué une analyse dans laquelle nous contrôlons plusieurs caractéristiques des entreprises. Lorsque les différences entre les entreprises sont prises en compte, les entreprises familiales émettent encore 12,8 tonnes de CO2 par million de dollars de revenus de moins que les entreprises non familiales. Nous constatons également que cet effet différentiel est particulièrement marqué après l’Accord de Paris de 2015, les entreprises familiales suivant alors une tendance distincte. Cela confirme le rôle de ce changement d’orientation en termes de discours public.

Une vision de long terme

Trois phénomènes tendent à expliquer ce résultat. Premièrement, ce sont les entreprises familiales qui parviennent le mieux à réduire leurs niveaux d’émission car leurs conseils d’administration ont une durée de mandat plus longue. D’après nos estimations, ses membres devraient siéger en moyenne huit ans pour que l’entreprise commence à expérimenter une réduction significative de ses émissions de CO2. Cela donne du poids à l’idée qu’une vision à long terme contribue à la lutte contre le changement climatique.

Deuxièmement, nous observons que ce sont les entreprises familiales dirigées par des membres de la famille qui affichent des niveaux d’émission plus faibles. C’est notamment le cas lorsque le PDG appartient à la deuxième génération ou à la génération suivante. Des études récentes montrent notamment que les valeurs familiales gagnent en importance au fil du temps.

À l’inverse, les entreprises dirigées par des PDG recrutés, c’est-à-dire non membres de la famille, connaissent une augmentation de leurs niveaux de pollution. Cela confirme que les valeurs familiales et la transmission familiale jouent un rôle central.

Troisièmement, nous observons que les entreprises familiales ont commencé à investir davantage dans la recherche et le développement à la suite de l’Accord de Paris de 2015, suggérant que des investissements technologiques plus importants sous-tendent cette différence.

Des bons résultats ESG, un signal trompeur ?

Notre étude met également en avant un paradoxe inattendu. Bien que moins carbonées, les entreprises familiales affichent des scores environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) plus faibles, y compris les scores uniquement environnementaux. Elles s’engagent également moins publiquement à réduire leurs niveaux d’émission. Les entreprises qui polluent le moins sont ainsi aussi celles qui affichent le moins ce résultat. Ce qui peut s’interpréter comme une moindre tendance au greenwashing.

Les entreprises familiales changent néanmoins de comportement lorsqu’elles font appel à des PDG recrutés. Elles commencent alors à obtenir de meilleurs scores ESG et à s’engager publiquement à réduire leurs émissions. Rappelons que c’est également avec un PDG recruté que la pollution des entreprises familiales augmente.

Ce résultat apporte des conclusions importantes : l’affichage environnemental peut donner un mauvais signal de l’impact réel. Les investisseurs, ainsi que les régulateurs, devraient préférer s’appuyer sur des données d’émission concrètes à des déclarations environnementales non contraignantes. Au risque de n’avoir que peu d’effets climatiques réels.

À propos des auteurs :
Paul-Olivier Klein.
Maître de Conférences en Finance, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3.
Marcin Borsuk. Research fellow, University of Cape Town.
Nicolas Eugster. Lecturer in Finance, The University of Queensland.
Oskar Kowalewski. Professor of Finance, IÉSEG School of Management.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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