« On peut lutter contre le chômage et préserver l’environnement en produisant de la bonne nourriture »

We Demain : Début 2013, vous avez fondé Blue Bees, une plateforme de crowdfunding dédiée à l’agriculture durable. Quel est son objectif ?
 
Maxime de Rostolan : Blue Bees est une plateforme sur laquelle les internautes peuvent placer leur argent pour financer des projets agroécologiques. Avec une conviction forte : si on veut changer les règles du jeu, il faut jouer avec les mêmes règles que celles des banques. Blue Bees a donc été la première plateforme de crowdfunding à obtenir le feu vert de la Banque de France pour pratiquer le prêt rémunéré. Au départ, seulement à l’étranger, mais depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’économie sociale et solidaire, également en France. La grande majorité des projets proposés par Blue Bees est économiquement viable dans le domaine de l’écologie et de l’alimentation.
 
Pouvez-vous nous citer quelques exemples de projets prometteurs dans lesquels il est actuellement possible d’investir sur Blue Bees ?
 
On peut par exemple soutenir une coopérative de Noix de Cajou au Costa Rica, qui a besoin de préfinancement pour effectuer ses récoltes. L’emprunt, remboursé au bout de six mois avec 1 % d’intérêts, soutient le commerce équitable, l’emploi de 80 agriculteurs et une activité respectueuse de l’environnement. En France, nous proposons de soutenir le développement de Treez, un projet qui permet à chacun de planter un arbre en achetant un bracelet, en partenariat avec l’initiative Pur Projet, menée par Tristan Lecomte, un pionnier de l’agroécologie. Il y également un projet de ferme en Haute-Normandie qui servira a prouver que l’agriculture bio permet aussi d’améliorer la qualité de l’eau locale.
 
Où en est-on, en France, du développement de l’agroécologie ?
 
Cette approche séduit beaucoup de gens, la permaculture est à la mode. On reçoit énormément de mails de personnes intéressées et les fermes accueillent souvent des volontaires curieux de découvrir le métier. Sont-ils prêts à franchir le pas ? Je ne sais pas. Il y a beaucoup de freins à lever : accès au foncier, statut de l’agriculteur, statut des woofers (travailleurs temporaires dans des fermes écologiques qui sont hébergés en retour), couverture sociale des petits exploitants. Un autre point important : la PAC ne se tourne vraiment pas assez vers l’agriculture bio ! Il faudrait que soient enfin pris en compte les services écosystémiques rendus par les agriculteurs, dont l’activité peut avoir des effets positifs sur la santé, l’économie des territoires, la biodiversité…

Comment passer à la vitesse supérieure ?
 
Il faut mettre en avant les services rendus à l’environnement par les exploitations écologiques. En Allemagne, la Bavière a fait face à une énorme pollution aux nitrates dans les années 1980. La région a alors dû faire un choix : redimensionner la station de traitement de l’eau pour plusieurs millions d’euros ou subventionner les agriculteurs pour qu’ils passent au bio. C’est cette seconde option qui a été retenue, parce qu’elle coutait moins cher. Cinq ans après, l’eau était redevenue de très bonne qualité.
 
C’est justement dans cette idée, de mise à l’épreuve des principes de la permaculture, que vous expérimentez depuis un an un projet de micro ferme. Cela fonctionne ?

Oui ! J’ai lancé l’association Fermes d’avenir, qui vise à montrer l’efficacité de l’agriculture naturelle sur petite surface. On a monté une ferme en Touraine, hébergée par Louis Albert de Broglie (Lire We Demain n°6). Le coût de la mise en place de cette ferme, entre 80 000 et 120 000 euros terrain compris, est inférieur au prix d’un tracteur ! Surtout, cette ferme ne consomme pas de pétrole, tout en étant plus productive par unité de surface qu’une exploitation traditionnelle.
 
Il s’agit donc de tenir un discours rationnel et réaliste.
 
Tout à fait ! Vu la crise écologique que l’on traverse, on n’a plus de temps pour la poésie. On ne va pas demander aux gens de vivre dans des yourtes et de compter sur la charité des autres. Il faut  des modèles qui tiennent la route. C’est pour ça que Blue Bees tient à rémunérer les internautes qui soutiennent ses projets. Tous les projets que la plateforme propose sont des projets de citoyens qui veulent changer le monde de manière réaliste. La preuve : Francois Lemarchand, le fondateur de Natures et Découverte, est entré au capital de Blue Bees à hauteur de 30 %. C’est un businessman avec des valeurs.
 
 On a compris que cette nouvelle agriculture est capable de générer une production conséquente, tout en préservant l’environnement. Mais qu’en est-il sur le front de l’emploi ?

Il est important de montrer qu’une agriculture responsable permet de créer énormément d’emplois. Nous avons le projet de former des entrepreneurs pour qu’ils créent un réseau de 1 000 micro fermes à travers la France. On peut produire de la bonne nourriture, soigner l’environnement, et combattre le chômage tout en soutenant d’autres viviers de solutions comme le réseau de distribution La Ruche qui dit Oui.
 
Quels sont les prochains défis pour Blue Bees ?
 
D’abord, se faire connaître. On a en face de nous des banques comme HSBC, qui placarde les aéroports avec les pubs. On n’a pas ces moyens là. Nous allons aussi monter un fonds de garantie avec des institutions qui viendront sécuriser les prêts des emprunteurs dès lors que les projets financés sont d’intérêt général.

Propos recueillis par :

Côme Bastin
Journaliste We Demain
Twitter : @Come_Bastin

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