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La fusion nucléaire, une source d’énergie décarbonée, sûre… et inatteignable d’ici 2050

L’assemblage du réacteur expérimental ITER, dont l’ambition est d’apprendre à maîtriser la fusion nucléaire, a débuté mardi 28 juillet dans le sud de la France. Mais les connaissances scientifiques en la matière progressent trop lentement au vu de l’urgence climatique.

Le 30/07/2020 par Morgane Russeil-Salvan

Le projet a débuté en 2006, avec la signature d’un accord international réunissant 35 pays, dont les membres de l’Union Européenne (avec, à l’époque, le Royaume-Uni), la Suisse, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis. Depuis environ 15 ans, le site ITER (réacteur thermonucléaire expérimental international) s’édifie lentement dans le sud de la France, à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône.
 

Après plusieurs contretemps, sa construction  a franchi ce mardi 28 juillet une étape symbolique : le lancement de l’assemblage du réacteur, qui devrait encore durer près de cinq ans. Un événement salué par Emmanuel Macron, en visioconférence, ainsi que par les dirigeants de sept des États partenaires du projet.
 

“Avec la fusion, le nucléaire peut être une promesse d’avenir”, en offrant “une énergie non polluante, décarbonée, sûre et pratiquement sans déchets”, a souligné le président français. Le chef d’État sud-coréen Moon Jae-In voit dans ce “plus grand projet scientifique de l’histoire de l’humanité”  la concrétisation d’un “rêve partagé de créer une énergie propre et sûre d’ici à 2050”.
 

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Théoriquement, la fusion nucléaire permet effectivement d’accéder à une source d’énergie décarbonée, aux déchets radioactifs peu nombreux et à courte durée de vie. Une technologie bien plus propre que la fission nucléaire employée dans les centrales actuelles, et quasiment infinie : la fusion ne nécessite en effet pas d’uranium, minerai dont les réserves tendent à s’épuiser. Elle reproduit, à peu de choses près, les réactions observées au cœur des étoiles, d’où l’expression « mettre le soleil en boîte » pour décrire son mode de fonctionnement.

Mais Iter ne permettra pas d’atteindre cet idéal technologique d’ici 2050, contrairement aux annonces du président coréen. Le calendrier scientifique nous amène plutôt à 2060 – et encore, si tout se passe bien.

ITER, une simple étape dans une histoire beaucoup plus longue

Iter n’est pas le premier tokamak – espace dans lequel la fusion est rendue possible – au monde. Les premières versions ont été développées dans les années 1950 en Union Soviétique et le plus grand réacteur actuel, baptisé JET, est installé à Culham, au Royaume-Uni. Il est toujours utilisé par Euratom, la Communauté européenne de l’énergie atomique, à des fins expérimentales.
 

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La fusion est largement plus complexe que la fission nucléaire et les expérimentations nécessitent la construction de tokamaks de plus en plus grands et performants. En effet, chaque changement d’échelle provoque l’apparition de nouveaux phénomènes, qu’il faut apprendre à maîtriser. D’où la naissance d’ITER, tokamak encore plus vaste que Jet et qui aura lui même un successeur. Le réacteur de Cadarache n’est en fait qu’une étape dans la maîtrise de la fusion. Une étape symbolique, sans doute, mais encore très éloignée d’une centrale électrique fonctionnelle.
 

“Le R de ITER, pour “réacteur”, c’est un peu de la communication”, explique Jacques Treiner, physicien théoricien et ex-professeur à l’Université Pierre et Marie Curie interrogé par We Demain. “ITER n’est pas un réacteur : c’est une machine qui fait de la physique fondamentale et qui étudie la stabilité d’un plasma à 150 millions de degrés.”

Gaz porté à des températures extrêmes, le plasma est le seul milieu dans lequel les réactions de fusion peuvent s’effectuer. Les scientifiques misent sur deux composants, le deutérium et le tritium. En fusionnant, ces deux noyaux vont produire de l’hélium et dégager une grande quantité d’énergie, à convertir en électricité. Mais les premiers tests impliquant du tritium ne sont pas prévus avant 2035, selon le site d’Iter-organization, date à laquelle on espère maîtriser le comportement du plasma.

De nombreux défis scientifiques à résoudre

Même après cette étape, l’énergie produite par ITER ne sera pas convertie en électricité. Ce rôle reviendra à DEMO, un futur réacteur installé au Japon.

« Si DEMO parvient à produire de l’électricité en continu, alors il faudra essayer de faire un prototype industriel », souligne Jacques Treiner. « Il reste donc trois étapes, ce qui nous amène à la fin du siècle ! Alors, l’argument selon lequel la fusion permettrait de résoudre le problème du climat, de produire de grandes quantités d’énergie décarbonée…” 

En 2018, le GIEC soulignait la nécessité d’atteindre un “bilan nul” des émissions de gaz à effet de serre aux alentours de 2050 pour limiter la hausse des températures à +1,5°C. La fusion nucléaire, aussi séduisante soit-elle, ne sera pas prête à temps.
 

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D’autant qu’ITER soulève deux défis scientifiques de taille : celui des ressources en tritium, composant qui n’existe pas à l’état naturel et dont la production sera expérimentée au sein même du réacteur, et celui de la résistance des parois. Car la réaction de fusion du deutérium et du tritium produit un flux de neutrons hautement énergétiques, à laquelle aucun matériau actuel n’est capable de résister. Ces neutrons rendent les parois de la chambre de confinement poreuses, alors que leur herméticité est essentielle au maintien de la réaction.

En 2005, Jacques Treiner alertait déjà sur cette limite dans les colonnes du Monde. “Si on ne parvient à trouver des matériaux capables de gérer ces neutrons, il n’y aura jamais de réacteur industriel, insiste-t-il encore aujourd’hui. Si on ne sait pas fabriquer la casserole, alors on ne peut rien mettre dedans.”

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