Partager la publication "Avons-nous perdu la bataille de la désinformation ?"
Dans un contexte où la désinformation semble omniprésente, avons-nous d’ores et déjà perdu la bataille contre cette tendance inquiétante ? Dans le cadre du sommet Les Napoleons, qui s’est tenu les 11-12 janvier dernier, la question a été discutée entre Marie Peltier, historienne spécialiste du complotisme et Elsa Guiol, journaliste et rédactrice en chef de « La fabrique du mensonge ».
Pour Marie Peltier, « le complotisme n’est pas nouveau mais on en parle beaucoup plus car on l’étudie beaucoup – trop – sous le prisme de la technologie. La propagande a toujours existé et le mensonge a toujours utilisé les outils d’information mais tout cela est amplifié par les réseaux sociaux notamment. » Et de compléter : « Difficile de dire s’il y a davantage de fake news mais Internet permet de mieux en mesurer les impacts. Et tout cela est amplifié aussi par le fait que nous souffrons d’une absence de vision globale. »
La démocratie ébranlée : enjeux et résistances face à la désinformation
« Nous constatons actuellement une désillusion face à la démocratie, qui n’est pas à la hauteur des promesses. Les alternatives ne font que remplir cet espace laissé vide. D’autant plus que les fake news possèdent une force de la conviction qui manque pour la démocratie », ajoute Marie Peltier. Pour sa part, la journaliste Elsa Guiol souligne le rôle de caisse de résonance des réseaux sociaux en la matière : « On n’arrive plus à endiguer le tsunami de fake news, notamment depuis le Covid. Et des plateformes comme TikTok ont évolué du divertissement vers la désinformation et la propagande, aussi bien de la part de particuliers et que des États. »
Et Marie Peltier d’abonder : « Il y a actuellement une parano vis-à-vis d’à peu près tout le monde. Si on ne peut plus se croire mutuellement, comment construire une société ensemble ? Les gens ont des questions légitimes et s’il n’y a pas de réponse proposée par les États, alors les discours antidémocratiques gagnent du terrain. Le tournant, cela a été l’élection de Donald Trump en 2017. C’est la victoire du récit antidémocratique dans nos sociétés. Le récit alternatif prend le pouvoir de la première démocratie occidentale. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une forme de résistance qui s’est mise en place depuis. Et il y a des outils qui se sont développés (combats démocratiques contre le racisme, pour le féminisme…). »
« Si on ne peut plus se croire mutuellement, comment construire une société ensemble ? »
Marie Peltier, historienne, spécialiste du complotisme.
Début des années 2000, aux racines du mal
Moment charnière de la montée en puissance de la désinformation, les attentats du 11 septembre ont été un trauma majeur. « Cet événement a réveillé les fantômes de nos civilisations, note Marie Peltier. On aurait pu en profiter pour mobiliser le récit démocratique mais au lieu de cela, nous avons mobilisé le récit civilisationnel. »
« Dans la foulée, 2003 est marquée du sceau du mensonge. Quand Colin Powell fait son plaidoyer pour la guerre contre l’Irak et montre sa soi-disant fiole avec de l’anthrax à l’intérieur, on sait tous que c’est faux mais cela n’empêche le conflit d’être déclenché par les Américains. Cette faute porte en elle les racines de la défiance face au politique. Cette combinaison entre marasme civilisationnel et mensonge, cela a été dévastateur. »
Peut-on se sauver de la désinformation ?
« Je suis inquiète mais je ne suis pas pessimiste. Il y a encore des leviers malgré tout pour survivre à la désinformation qui se développe. Mais là où est le danger, c’est quand les discussions deviennent impossibles dans l’intime, dans la sphère privée. Car qui dit absence de discussion, dit fin de la démocratie. Il faut continuer à débattre », insiste Elsa Guiol.
Peut-on s’extirper de la désinformation ? Est-il déjà trop tard ? La journaliste veut garder espoir mais le défi est cependant majeur. « Il y a un vrai problème de cohérence quand on demande l’exemplarité mais que, en parallèle, des personnes mises en examen restent au gouvernement. Ou que des personnalités politiques reprennent de fausses informations. Ce n’est pas toujours volontaire mais ils ne s’en excusent pas pour autant après. Pour s’en sortir, il n’y a pas d’autre solution que notre responsabilité collective. »
Cela doit passer par les organismes de fact-checking, la responsabilité politique, le travail des chercheurs, des historiens. C’est la responsabilité des médias aussi de faire en sorte de ne pas faire intervenir sur les plateaux des personnes sans légitimité ni éthique dans la présentation des faits.
Ne pas tomber dans la désinformation, une question de bon sens
« Il est nécessaire de se méfier de tout ce qu’on voit passer sur les réseaux sociaux », rappelle Elsa Guiol. Il est nécessaire de faire de l’éducation aux réseaux sociaux, aussi bien auprès des plus jeunes que des adultes et des seniors. Le principe est simple : « quand vous tombez sur quelque chose qui vous paraît incroyable, cette petite phrase doit déclencher une alerte dans votre tête pour dire ‘je vais aller vérifier ça’ avant de le relayer », détaille la journaliste. Rappelons que le mensonge circule beaucoup plus vite que la vérité, parce que la vérité prend beaucoup plus de temps à être établie.
Et Marie Peltier d’abonder : « Quand on voit quelque chose passer, il est nécessaire de s’interroger d’où vient le message. Qui dit ça ? Quelle est sa motivation ? À quelle date cela a été dit ? ». Déjà, répondre à ces questions, cela permet de mieux cerner la probable véracité ou non d’une information publiée. Et, en cas de doute, mieux vaut s’abstenir.
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