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Claire Nouvian (Bloom) : « Pour arrêter le massacre de la biodiversité marine, il faut interdire les bulldozers de la mer »

Chalutage industriel, exploitation minière des grands fonds marins, projet de loi de restauration de la nature à Bruxelles… Claire Nouvian fait le point sur les enjeux majeurs autour de la question des océans.

Le 05/07/2023 par Florence Santrot
Claire Nouvian
Claire Nouvian, fondatrice de l'ONG Bloom, se bat pour la défense des océans. Crédit : Bloom / YouTube.
Claire Nouvian, fondatrice de l'ONG Bloom, se bat pour la défense des océans. Crédit : Bloom / YouTube.

« 30 % des poissons pêchés en France le sont par des chalutiers. 93 % des rejets aussi. » Claire Nouvian, la fondatrice et directrice générale de l’association Bloom n’y va pas par quatre chemins. Pour préserver et régénérer la biodiversité marine, la question des méthodes de pêche est cruciale. Et le chalutage de fond arrive en première ligne des techniques les plus destructrices de nos fonds marins et des écosystèmes associés.

À l’occasion de la campagne de protection des océans initiée par la marque d’outdoor Patagonia, WE DEMAIN a pu rencontrer Claire Nouvian et l’interroger sur les dossiers les plus brûlants actuellement sur son bureau. Chalutage industriel, exploitation minière des grands fonds marins… les urgences sont multiples. Rencontre.

WE DEMAIN : Le chalutage de fond est pointé du doigt comme étant un véritable fossoyeur de la biodiversité marine, pouvez-vous nous expliquer cela ?

Claire Nouvian : Au niveau européen, 30 % de la capture de poissons est le fait du chalutage. Cette pratique industrielle est aussi à l’origine de 93 % des rejets. C’est-à-dire que la plupart des animaux pêchés par erreur le sont par les chalutiers. Avec leur énorme filet de forme conique, ce sont de véritables bulldozers de la mer. Et comme ils rapportent de gros volumes pas trop chers, ce sont eux qui alimentent la grande distribution. Les chalutiers sont liés à des modèles économiques qui se veulent massifs. Mais on pourrait aussi parler des sennes tournantes, ces énormes filets qui encerclent les bancs de poissons et capturent des quantités énormes d’animaux. Ils ciblent notamment le thon, premier poisson consommé en France. Ce n’est guère mieux…

Quelles solutions avons-nous ?

Il faudrait interdire le chalutage de fond. Et surtout revoir notre rapport à l’océan. Tout comme pas mal de gens ont arrêté de manger de la viande rouge quand ils ont compris à quel point cet élevage était nocif pour la planète, il faudrait repenser notre consommation de poisson. Il faut réaliser que pour chaque poisson sur un étal de supermarché, c’est parfois plusieurs milliers de poissons pêchés par erreur. Pour moi, le chalutage de fond, c’est le vieux monde. On peut le comparer à la monoculture intensive en agriculture. Il faut non seulement réduire les volumes pêchés (et moins en consommer) mais aussi changer les techniques et diversifier davantage les espèces consommées.

Pour vous, quelle est l’urgence pour les océans ?

Déjà, il y a certaines espèces qu’il faut éviter de consommer. Pour certains poissons, à chaque fois qu’on les met dans notre assiette, il y a un massacre de biodiversité. Littéralement, quand on ouvre une boîte de thon, il faut prendre conscience que cela a systématiquement tué des tortues, des dauphins, des requins, des baleines… Si le poisson dans l’assiette n’a pas été pêché avec une technique sélective, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer le massacre qu’il y a pu y avoir derrière… Le volume d’animaux morts est horrible mais on ne le voit pas car cela se passe en mer, au large.

Outre le fait de réduire sa consommation de poisson – on mange quatre trois trop de poisson –, il est important de privilégier la pêche traditionnelle. Les pêcheurs artisans ne représentent hélas aujourd’hui que 10 % des captures. Mais on peut citer des initiatives comme Poiscaille qui sont géniales. Ils ont réinventé le modèle de l’économie de la pêche. Loin de la première cause de destruction des océans, c’est-à-dire loin de la pêche industrielle.

Autre urgence de Bloom : la défense des aires marines protégées… qui ne le sont pas vraiment…

C’est clairement l’urgence des urgences. Ce qu’on veut obtenir, c’est dans les aires marines protégées (AMP), on arrive à en faire réellement un endroit où la nature peut souffler, se régénérer, se restaurer et que la faune et la flore peuvent à nouveau coloniser. C’est complètement dingue de se dire que l’État a désigné des aires marines protégées mais que les chalutiers, les dragues, etc. ont le droit de venir y pêcher malgré tout. En outre, il faut savoir qu’il existe en France plus de 18 catégories différentes d’AMP… C’est un manque de clarté volontaire. Surtout que ces AMP sont de véritables coquilles vides en termes de protection de la nature et que pas une catégorie n’est équivalente à la définition internationale.

C’est pour cela que Bloom a décidé d’attaquer devant le Conseil d’État le décret du 12 avril 2022, qui définit les aires marines protégées concernées par « une protection forte ». Le décret stipule qu’aucune activité industrielle n’est formellement interdite dans ces zones. C’est fou. D’autant plus que, Emmanuel Macron avait annoncé en mai 2019 l’objectif de préserver 30 % des eaux françaises d’ici 2022. Aujourd’hui, la réalité, c’est que 0,05 % des eaux marines en métropole sont réellement protégées.

Autre dossier qui figure en haut de la pile des dossiers de Bloom : le vote ces prochains jours sur l’exploitation minière des grands fonds…

Oui, le vote aura lieu le 9 juillet prochain et nous travaillons avec de nombreuses autres associations pour convaincre une majorité d’États de voter contre cette décision qui pourrait faire beaucoup de mal à la biodiversité. Nous sommes en train de nous battre pour convaincre les pays en dernière minute. Il est nécessaire que les scientifiques se penchent d’abord sur la question pour évaluer les dégâts. Nous, chez Bloom, nous militons pour une interdiction pure et simple afin de ne pas dégrader plus encore les fonds marins, notamment ceux des grandes profondeurs.

Mais il y a malgré tout de l’espoir. La régénération des écosystèmes est possible et c’est ça qui est magique. En 5 à 7 ans, une aire vraiment protégée retrouve un niveau de concentration de poissons correct. Pour les forêts sous-marines, il faut 7 à 12 ans pour les restaurer. Donc cela revient très vite. Et c’est une leçon : si on protégeait les océans de la pêche industrielle, les prises pourraient augmenter nettement en quelques années pour les pêcheurs artisanaux. Encore faut-il poser une véritable protection forte des aires marines protégées…

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