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Risques climatiques : les tarifs des assurances vont-ils exploser ?

Avec le dérèglement climatique et la multiplication des phénomènes extrêmes, les indemnités versées pourraient augmenter entre un à quatre milliards d’euros par an d’ici 2050.

Le 01/10/2022 par The Conversation
feu de forêt
Une équipe de pompiers combat un feu de forêt. Crédit : Toa55 / Shutterstock.
Une équipe de pompiers combat un feu de forêt. Crédit : Toa55 / Shutterstock.

Les incendies de forêt du mois de juillet encadrés par des séries d’inondations ont marqué les esprits comme un signe des temps : cette fois, c’est sûr, le climat change, et pas pour le meilleur. Si les dommages liés aux feux sont couverts par la garantie incendie des contrats multirisques habitation, les inondations exigent pour leur part des arrêtés de catastrophe naturelle pour être prises en charge par les assureurs.

À la fin de cet été particulièrement pourri, Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs affirmait dans le Journal du Dimanche du 28 août, que les sept premiers mois de l’année avaient entrainé 1,2 million de déclarations de sinistres pour un montant total de 4,3 milliards d’euros, contre 3,5 en moyenne annuelle au cours des cinq dernières années. Arnaud Chneiweiss, dans le rapport 2021 de la médiation de l’assurance, rapporte aussi une forte augmentation des saisines liées aux événements climatiques, en particulier relatifs à la sécheresse.

À l’échelle de la planète, l’étude Sigma de l’assureur Swiss Re compile tous les ans au début du printemps un bilan des catastrophes naturelles de l’année, et malheureusement la livraison 2022 confirme une tendance croissante quant au nombre et au coût des catastrophes naturelles, qui semble donc liée au changement climatique.

Des milliards en plus d’ici 2050

Au-delà des événements climatiques de ces derniers mois, quand on prend en compte la concentration de la population mondiale, notamment dans les zones littorales, et l’effet richesse lié à la croissance, alors le risque agrégé augmente à l’échelle de la planète. Les études menées sur la France entière montrent que cela devrait continuer : ces dernières années, la Caisse centrale de réassurance (CCR), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la fédération France Assureurs ont mené une série de travaux qui établissent un ordre de grandeur de l’aggravation du risque.

Malgré les différences de périmètre, de scénarios envisagés et de méthodologie, les études convergent vers une forte hausse des sinistres liés au risque climatique : +50 % à prix constants dans l’étude CCR, +174 % pour le test de résistance climatique mené par l’ACPR auprès de 22 entreprises d’assurance, +93 % dans la projection de France Assureurs réalisée à partir d’une maquettestatistique. Il conviendra d’ajouter à ce chiffre le différentiel d’inflation et l’excédent de richesse non anticipés par les hypothèses des études.

Si maintenant on considère que les indemnités versées au titre de ces risques ont été de l’ordre de deux milliards et demi par an au cours des trente dernières années, on table donc sur une augmentation de l’ordre d’un gros milliard, à quatre milliards par an.

À la question « les tarifs sont-ils condamnés à augmenter ? » la réponse est donc bien évidemment oui en valeur absolue ; en valeur relative, on peut toutefois penser que les prix de l’énergie et des aliments carnés augmenteront plus fortement. Mais on peut aussi agir sur les risques qu’on connaît, c’est pourquoi une description plus précise est nécessaire pour envisager des remédiations.

Une prime moyenne de 26 euros par habitation

Une étude réalisée pour la Fondapol en 2020, menée par José Bardaji et Arnaud Chneiweiss, décrit avec précision les trois catégories de risque climatique correspondant à trois régimes d’indemnisation : par ordre décroissant d’importance, il s’agit (1.) des catastrophes naturelles, (2.) des garanties « tempête, grêle, neige » (TGN) et (3.) des assurances agricoles.

Depuis la loi de 1982 sur les « cat nat », celles-ci sont prises en charge en supplément des assurances de dommages (par exemple des contrats multirisques habitation). La différence entre ces deux dispositifs est que le premier (cat nat) est entièrement régi par la réglementation, tant pour le tarif que pour les modalités d’indemnisation, tandis que le deuxième (dommages) l’est par le contrat.

Enfin, les assurances agricoles ne concernent que les professionnels qui souhaitent s’assurer contre la grêle et/ou les autres périls pouvant porter préjudice à leur activité. En moyenne, la prime « catastrophe naturelle » est de 26 euros par habitation, comme la prime TGN des ménages, tandis que les primes des professionnels sont plus élevées. Les montants payés par les particuliers sont donc raisonnables, et une augmentation, si elle est proportionnée au risque, ne paraîtrait pas démesurée.

Toutefois, on ne peut pas se satisfaire de raisonner en termes de moyenne. L’étude de la Fondapol montre ainsi que les différents régimes organisent « une redistribution massive de la très grande majorité des départements métropolitains » vers certains d’entre eux car la cotisation varie faiblement d’une région à l’autre alors que la sinistralité est très contrastée.

Un risque pour la solidarité nationale

Ainsi, au cours des trente dernières années, par exemple, l’Aude a reçu 318 % du montant de sa cotisation aux « cat nat », tandis que la Charente a payé seize fois ce qu’elle a reçu ; pour la garantie TGN, les Landes ont perçu 338 % des sommes cotisées tandis que l’ensemble de l’Île-de-France ne récupérait que 21 % de sa mise.

« La mutualisation est l’essence de l’assurance », pense-t-on à raison : mais un déséquilibre permanent pourrait menacer « l’assurabilité » de certains risques. Pensons au cas de Saint-Barthélemy, ravagé en 2017 par l’ouragan Irma, avec un coût moyen du sinistre de 91 000 euros, soit plus de trente ans de cotisations, moins, hélas, que le temps de retour probable du prochain ouragan.

Il n’est donc pas faux de dire que si nous ne faisons rien en termes de lutte contre le changement climatique, le fardeau des catastrophes naturelles pourrait devenir insupportable, avec le risque d’entrainer une érosion de la solidarité nationale, soit que les habitants de régions les moins exposées refusent de payer pour les autres, soit que la hausse des tarifs rende l’assurance inabordable pour certains ménages.

Les assureurs n’ignorent pas ce défi : les chercheurs Arthur Charpentier, Laurence Barry et Molly James montrent notamment que la composition de la justice actuarielle (qui consiste à faire payer le vrai prix du risque) avec la solidarité n’est pas simple puisque la solution optimale à court terme (c’est-à-dire la redistribution) produit des effets pervers à moyen-long terme (dans la mesure où elle n’incite pas à la prévention).

C’est donc en pleine conscience des enjeux que les assureurs proposent des remédiations. Il faut comprendre que celles-ci engagent notre organisation économique et sociale qui doit changer pour atténuer les effets du changement climatique : de même qu’on ne réglera pas le problème des transports en remplaçant simplement les voitures thermiques par des véhicules électriques, mais en repensant l’ensemble des mobilités dans leurs interactions, de même on ne diminuera pas l’exposition au risque en rendant étanche la maison engloutie par la submersion marine !

Éduquer sur les risques naturels

On peut certainement améliorer les normes et les procédés constructifs afin d’éviter que les risques naturels, notamment la sécheresse, aggravent les effets d’éventuels défauts de construction : le rapport 2021 de la médiation de l’assurancemontre l’acuité de ce problème.

Toutefois, la prévention exige une prise en compte plus générale des risques naturels : comprendre les périls autour de nos habitations c’est aussi les repérer, éviter d’y exposer les nouvelles constructions, avoir les bons réflexes quand la catastrophe arrive. Mieux encore : réaménager les villes (quand les maisons sont régulièrement inondées par le fleuve qui déborde), limiter l’artificialisation des sols, comme certaines communes ont déjà commencé à le faire.

La culture du risque naturel représente un investissement considérable, d’abord en capital humain et dans l’organisation collective. Une journée nationale annuelle devrait avoir pour objet d’éduquer sur les risques naturels locaux, sur les bons réflexes à avoir (ne pas descendre au sous-sol tenter de sauver sa voiture d’une inondation, au risque de perdre la vie), sur les travaux et mesures de prévention engagés par l’État et les collectivités locales. C’est un préalable pour que les investissements physiques soient les plus efficaces.

Il est également essentiel que tous les acteurs, publics (État, collectivité locale, EDF, Météo France, etc.) et privés (assureurs, opérateurs de téléphonie, etc.), partagent mieux leurs informations et retours d’expérience. Les entreprises d’assurance peuvent accompagner les parties prenantes pour réduire les risques au niveau individuel, c’est-à-dire dans le conseil au client, comme collectif : c’est précisément l’utilité des études qu’elles ont diligentées de nous permettre d’entrevoir, au-delà de l’éco-anxiété, comment nous pouvons prévenir les risques pour continuer à indemniser leurs conséquences.

À propos de l’auteur : Pierre-Charles Pradier. Maître de conférences en Sciences économiques, LabEx RéFi, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Interviewé : Arnaud Chneiweiss. Médiateur de l’assurance.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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