Partager la publication "Comment la pandémie accélère la création de nouveaux circuits courts alimentaires"
La cinquième édition de l’opération « février sans supermarché” bat son plein et, « cette année, c’est plus simple!”, se réjouit Ingrid qui relève le défi depuis trois ans. « Grâce aux nouveaux points de vente développés pendant le confinement, je fais moins de kilomètres”, précise l’administratrice du groupe Facebook “Normandie sans supermarché”.
Par peur de se rendre en supermarché, par souhait de soutenir les producteurs locaux ou par volonté de manger des aliments plus sains sans trop dépenser, de plus en plus de Français soutiennent des réseaux de distribution alternatifs : magasins coopératifs, groupements d’achats ou autres circuits courts.
« Acheter à un producteur local rassure les consommateurs”, explique Yuna Chiffoleau, sociologue et agronome à l’Inra, qui pilote l’enquête « Manger au temps du Coronavirus”. Les obstacles habituels comme l’absence de choix dans la composition du panier de produits locaux et de saison ou le fait de passer du temps à cuisiner des produits bruts sont devenus des garanties de se procurer des produits sains.
Lors du premier confinement, la fermeture des marchés de plein vent a également encouragé des consommateurs et des producteurs à imaginer de nouveaux circuits de distribution.
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Essor des magasins coopératifs
C’est le cas à Melun en Seine-et-Marne. Des habitants se sont regroupés pour créer une épicerie coopérative au printemps dernier, qui a ouvert ses portes le 8 février. « Le projet avait été envisagé avant la crise sanitaire mais la pandémie a facilité sa mise en place”, indique Hélène Muller, chargée du recrutement de nouveaux adhérents. « Entre septembre et l’ouverture, nous sommes passés de 15 à 80 adhérents!”, se réjouit-elle. Une épicerie inspirée de La Louve, le premier magasin coopératif ouvert en France à Paris. Pour y acheter des produits, les clients doivent devenir coopérateur en prenant une part à 50 euros. Les adhérents s’engagent également à donner 3 heures de temps par mois. En contrepartie, ils s’approvisionnent de mets locaux, de qualité, bio, pour la plupart à des prix raisonnables. Par exemple, le kilo de pommes de terre bio est vendu 1,40 euro, la bouteille de bière locale de 33 cl à 2,67 euros, les pots de yaourt nature ou aromatisé de la ferme voisine sont à 0,60 euro pièce, l’huile de tournesol de 500ml à 4,20 euros, les 6 oeufs bio à 2,40 euros, le dentifrice bio 30g à 4 euros. « Nous ne négocions pas les prix auprès des producteurs mais nous espérons que plus le volume des commandes sera important, plus le prix sera intéressant”, précise Hélène Muller.
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Achats groupés de produits fermiers
Des associations ont également structuré ces groupements de consommateurs pour faciliter des achats en direct auprès des producteurs, comme Les Paniers de Thau, en région Occitanie. Ce système d’achat groupé de produits fermiers locaux est coordonné par l’association écologiste la CPIE du Bassin de Thau et co-animée par des bénévoles. Les consommateurs sélectionnent un des 5 lieux de rendez-vous et passent commande sur le site internet avant de récupérer leurs produits auprès des paysans basés en grande majorité dans l’Hérault. Le système n’est pas nouveau, il a été créé en 2008, mais il a changé de dimension depuis la pandémie : « La période de crise sanitaire a dopé notre circuit court alimentaire puisqu’on a doublé le chiffre d’affaires pour les producteurs, aujourd’hui de 500.000 euros”, indique Adeline Rumpler, responsable pôle agriculture durable de la CPIE. Le réseau compte désormais 70 producteurs et plus de 5400 clients inscrits. Les adeptes des produits locaux peuvent ainsi acheter un kilo de carottes à 1,45 euro, des kiwis bio à 0,35 euro pièce, des pommes de terre bio à 1,40 euro le kg, du poisson local et de saison issu de la pêche traditionnelle à 16 euros le kilo…
D’autres regroupements de citoyens ont émergé sur tout le territoire à la faveur du confinement. « Ce fut la grande découverte de la crise sanitaire : partout en France des citoyens ont monté des groupements d’achats pour se procurer des produits directement auprès des agriculteurs. Ils ont organisé des livraisons pour un immeuble, un quartier, en ville mais aussi à la campagne”, indique Yuna Chiffoleau, sociologue et agronome à l’Inra.
« Les agriculteurs ont beaucoup collaboré avec des gens qui n’avaient parfois pas du tout l’habitude de consommer en circuits courts”, ajoute la co-animatrice du Réseau Mixte Technologique (RMT) Alimentation Locale qui reconnaît que ces « réseaux informels sont difficilement quantifiables”.
Sites internet de vente directe
Les citoyens ont, en un temps record, su faire preuve d’imagination. Les logiciels libres comme cagette.net ou Kuupanda permettent de structurer et pérenniser certains de ces groupements d’achat. Par exemple, via Kuupanda, il est possible de se procurer auprès des producteurs catalans des caissette de 5 kg de porc noir bio à 67 euros, des boudins noirs artisanaux à 3,30 euros ou des oeufs à 3 euros la boite de 6… Les produits sont ensuite récupérés sur les lieux de rendez-vous fixés à l’avance.
Parallèlement, les producteurs eux-mêmes ont initié de nouvelles formes de vente directe. Certains ont ainsi installé des distributeurs de produits fermiers comme la ferme de la Bruille au Mée-sur-Seine. L’exploitation propose quatre variétés de pommes de terre (bio), des oignons (bio), des carottes botte (bio), des choux (bio), mais aussi des brocolis des œufs, des potimarrons et des butternuts (conversion bio) à des prix attractifs de 1,20 à 4 euros. À Beaulieu-les Loches en Indre-et-Loire, les distributeurs de produits de la ferme ont fonctionné à plein régime : Jérôme Tarnier, maraîcher, a multiplié par trois les ventes dans ses 400 casiers automatiques accessibles 7 jours sur 7 de 6 h à 23 h. L’agriculteur s’est également rapproché d’autres producteurs de sa région pour créer à la hâte un site de vente en ligne. Sur la plateforme, les consommateurs trouvent des bûches de chèvre à 4,50 euros, des pommes de terre à 1,30 le kg, des boîtes de 12 oeufs à 2,90 euros… Des plateformes de mise en lien des producteurs et des consommateurs avec un système de géolocalisation, ont aussi été créées par des régions comme la Nouvelle Aquitaine grâce à un partenariat avec les chambres d’agriculture.
Se détourner des grandes surfaces n’est toutefois pas (encore) devenu la norme : si elles ont un peu moins la cote, 80 % des achats alimentaires se font en grandes surfaces en France. Avant que le défi « sans supermarché” ne devienne banal, la route est encore longue !