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J’ai testé l’appli ClearFashion, le Yuka de la mode

Tremble, industrie de la mode  ! Comme l’appli Yuka pour l’alimentation, Clear Fashion permet de scanner les étiquettes de vêtements pour découvrir leur impact écolo et humain. Notre journaliste l’a testée sur sa penderie et dans les magasins. Enquête sur une prise de conscience.

Le 21/07/2021 par Séverine Mermilliod
Mode : dressing au scanner
Notre journaliste a testé l’application Clear Fashion, qui permet de scanner les étiquettes de vêtements pour connaître leur impact écologique et humain. (Crédit : Clear Fashion)
Notre journaliste a testé l’application Clear Fashion, qui permet de scanner les étiquettes de vêtements pour connaître leur impact écologique et humain. (Crédit : Clear Fashion)

« Je peux vous aider ? Vous cherchez quelque chose en particulier ? » Ce samedi matin, le regard interrogateur de la vendeuse d’une célèbre chaîne d’habillement s’attarde sur le Smartphone que je tiens à la main et que je passe avec obstination au-dessus des étiquettes des produits. 

Si les hordes de consommateurs accros à l’appli Yuka et au diagnostic de leurs aliments sont aujourd’hui une vision commune dans les supermarchés, il est vrai que scanner ses vêtements est un geste beaucoup moins répandu. Mais pour combien de temps ?

Si j’en suis arrivée là, c’est à cause de Clear Fashion. Une application de notation lancée en septembre  2019 qui permet d’évaluer des articles de mode. Déjà convertie au  »scan » des aliments et des cosmétiques, j’ai voulu tester la solution chez moi pour avoir un aperçu de l’impact écolo de ma garde-robe. L’application offre deux possibilités  : s’informer sur une marque – 420 sont pour le moment recensées –, ou directement sur un produit. 

Il suffit pour cela de prendre en photo l’étiquette ou le code-barres qui renseigne la composition du vêtement, ou de l’entrer manuellement, puis de choisir une catégorie  : robe, pull, jean… L’algorithme de Clear Fashion croise alors des données – publiques ou fournies par les marques (politique environnementale, codes de conduite fournisseurs, matières premières…) – et en tire quatre notes sur 100, selon quatre critères  : l’environnement, l’humain, la santé et le bien-être animal.

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN N° 29, paru en février 2020, disponible sur notre boutique en ligne. Il a été mis à jour en juillet 2021.

La mode, polluante et meurtrière 

De mon côté, le verdict n’est pas glorieux : peu de mes vêtements passent avec succès le test de l’écoresponsabilité. Un top blanc Monoprix à 40/100 ; une jupe Zara cumulant cinq matières différentes notée 52/100 ; une blouse Etam à 49/100… Il y a malgré tout quelques surprises. Un haut Promod qui obtient la note de 83 et un short Pull & Bear au-dessus de 60. Mais la moyenne reste bien faible, et montre la prédominance dans mon vestiaire de la fast fashion, la mode éphémère.

« On ne veut pas faire culpabiliser, mais plutôt sensibiliser les acheteurs aux conditions de fabrication de ce qu’ils portent », explique Marguerite Dorangeon à propos de l’outil qu’elle a créé avec Rym Trabelsi, et sur lequel travaillent désormais sept personnes. Toutes deux sont ingénieures agronomes de formation ; l’idée leur est venue à la fin de leurs études. 

« On a été choquées de découvrir l’impact environnemental de nos habits, de voir qu’il y avait énormément de dérives sociales, comme l’a montré l’effondrement du Rana Plaza », raconte la première dans une allusion à cet immeuble vétuste de Dacca, au Bangladesh, qui abritait des ateliers de confection de plusieurs marques de mode et dont l’écroulement a provoqué la mort de plus de 1 100 personnes en 2013.

L’industrie de la mode est, il est vrai, l’une des plus polluantes au monde. Grosse consommatrice de coton, lui-même avide d’eau et, souvent, de pesticides, elle est responsable de 10  % des émissions mondiales de carbone et de 20  % des eaux usées de la planète (en raison de l’utilisation de nombreux produits chimiques), selon le programme des Nations unies pour l’environnement.

Présence de produits chimiques

Ce sont les deux points noirs de la note de mon haut Monoprix. En l’absence de données transmises par la marque, l’équipe de Clear Fashion s’est basée sur des informations publiques concernant ses fournisseurs. Comme rien n’a été trouvé sur les substances utilisées (éventuelle présence de phtalates ou de composés perfluorés…) ni sur la présence de produits chimiques dans le vêtement, le critère santé plombe la moyenne avec un 0 sur 100. Côté écologie, c’est la matière en coton qui est mal notée. Et le critère humain pêche par le pourcentage inconnu de fournisseurs audités sur des critères sociaux. 

Ma jupe Zara s’en sort un peu mieux grâce à l’absence de composés perfluorés. Et un contrôle des substances sur le vêtement. La bonne note de ma chemise Promod, elle, s’explique peut-être parce que la marque a fourni des précisions en complément des données publiques concernant ses fournisseurs. L’impact carbone de la matière, la viscose, et la pollution de l’eau que sa production peut engendrer font par contre baisser le total.

« On savait que tout le monde ne passerait pas tout de suite à du 100  % seconde main, poursuit, réaliste, la cofondatrice. Il fallait donc une solution pour les achats neufs. » Les 230 000 téléchargements de l’appli Clear Fashion en deux ans le prouvent assez bien. Les deux amies se rêvent même en pendant vestimentaire de Yuka. L’appli qui fait trembler la grande distribution et a déjà permis d’améliorer la composition de certains aliments grâce à ses  millions d’utilisateurs revendiqués.

Progression de la mode durable 

Mais cela sera-t-il suffisant pour faire plier l’industrie textile ? Si manger mieux améliore la santé, les conséquences de nos achats vestimentaires sont plus floues. Un frein à la prise de conscience ? Le contenu de mon armoire en témoigne. « La partie environnementale de l’appli est pourtant la plus regardée par nos utilisateurs, devant la santé, contre-attaque Marguerite Dorangeon. Par leurs achats, nous pouvons avoir un impact au niveau des marques. Avec les chiffres du secteur de la mode en retrait, elles vont devoir repenser leur façon de fonctionner. »

D’après les chiffres de l’Institut français de la mode (IFM), les Français désertent les rayons des magasins depuis 2008 (- 15 % en valeur). À 60  % pour des raisons budgétaires et à 40  % par souci écologique. Dans le même temps, le marché de la mode « durable » (favorisant le recyclage, la production locale et la seconde main) est en progression. Selon une enquête de l’IFM auprès de 5 000 consommateurs en France, aux États-Unis, en Italie et en Allemagne publiée en septembre  2019.

« Toutes les entreprises ont compris que l’écoresponsabilité était incontournable, assure Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’IFM. Les résultats montrent que la question de l’environnement est encore plus importante que l’aspect social dans l’esprit des gens, ce qui n’était pas le cas avant. » En France, 45,8  % des sondés ont acheté un produit de mode éthique ou de seconde main dans l’année. Taux qui atteint 55  % aux États-Unis.

En quête d’une tenue plus éthique, je sors voir ce que proposent les magasins. Et à ce jeu-là, la gamme de prix n’est pas toujours l’indicateur le plus probant. « Notre logique c’est de montrer que la vraie différence se fait au niveau du produit  : selon la composition, le label, la note peut beaucoup varier », explique Marguerite Dorangeon. Ainsi un tee-shirt de la collection basique de Zara obtient-il une note de 55/100 sur Clear Fashion. Et sa version en coton labellisé 59/100, grâce à quelques points glanés sur le critère environnemental. Un peu plus loin, autre magasin, autre gamme. Un jean de chez Maje que je pourrais m’offrir pour la modique somme de 175  euros obtient une note de 68/100 grâce à un label et une bonne connaissance de ses fournisseurs.

Demande de transparence

Comme 30  % des Français (d’après une étude réalisée par Yougov en août  2019), j’ai du mal à savoir ce qui est vraiment écoresponsable. Pour cela, l’application a pensé à un « top des marques » par catégorie. Je pourrai donc plus facilement trouver celles qui fabriquent des produits bien notés, sans forcément vendre un rein.

Je finis par me prendre au jeu et passe mon samedi matin à scanner. Dans certains magasins, l’appli ne fonctionne pas, car la connexion est mauvaise ou la marque pas encore recensée. Qu’à cela ne tienne. J’envoie une demande de référencement aux équipes de Clear Fashion et apprends que 78 personnes ont déjà fait comme moi. « Au départ on n’imaginait pas que ce serait autant un outil de ‘consomm’action’, mais nos utilisateurs sont très engagés. Cela nous permet de dire aux marques que tant de personnes ont demandé leur référencement. Elles ont tout intérêt à collaborer », commente Marguerite Dorangeon. D’autant que si la marque ne leur répond pas et que l’information est introuvable ailleurs, elle recevra un zéro. 

De quoi inquiéter les enseignes qui n’auraient pas communiqué leurs données… si le nombre d’adeptes de l’appli continue de grimper. « Elles ont un droit de retour avant intégration et ensuite, des mises à jour sont possibles. Le but n’est pas de figer la note puisque l’objectif est justement que les pratiques évoluent. » Deux cent griffes ont pour l’instant joué le jeu.

Les marques de mode ont-elles peur du scan ?

« Pour garder leurs clients, les marques doivent les écouter et donc être plus transparentes, confirme Hélène Sarfati-Leduc, fondatrice associée du French Bureau, une agence qui conseille les entreprises sur le sujet. Depuis 2015, nous constatons une multiplication d’engagements, de chartes… Mais la modification des business models va prendre du temps. »

Selon elle, plus que les applis de notation, c’est la réglementation qui va les y obliger. Les grandes enseignes de fast fashion n’auraient-elles donc pas peur du phénomène du scan ? Quelques-unes ont accepté de nous répondre. Uniqlo, qui a déjà mis en avant plusieurs engagements en faveur de l’environnement, botte en touche. « L’engagement permanent est de veiller à ce qu’Uniqlo soit synonyme de produits éthiques et durables », précise simplement la marque japonaise. Qui rappelle que sa maison mère, Fast Retailing, publie une liste de ses usines partenaires.

Rym Trabelsi, elle, a remarqué une évolution chez certaines marques. À présent, un salarié est souvent chargé de la partie « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE) pour s’attaquer à ces questions. Antoine Morel, social media manager au Slip français depuis 2017, va par exemple cette année se consacrer à ces missions RSE à plein-temps. « Choix des matières, innovation, recyclage… on peut aller toujours plus loin, estime-t-il. Au Slip français, nous avons une démarche de transparence depuis le début. Avoir un organisme externe comme Clear Fashion qui peut le certifier, c’est un gage de crédibilité pour ceux qui douteraient. »

Attention aux méthodologies

Avis plus mitigé chez H&M. « La transparence est dans notre ADN, assure Julie-Marlène Pelissier, responsable durabilité et engagement pour la branche française de la marque. Nous publions depuis 2013 la liste de nos fournisseurs. Cette année, nous avons fait un pas vers le consommateur en donnant, par vêtement, des informations supplémentaires sur la composition et le lieu de production, avec le nom de l’usine. » Vis-à-vis des applications comme Clear Fashion, elle a ce bémol : « Attention aux méthodologies qui ne sont basées que sur le déclaratif de marques. Ce n’est pas forcément très clair pour le consommateur. »

La multinationale travaille donc avec « plus de 200 marques et des ONG » sur un autre outil encore en développement. Le Higg Index, développé par la Sunstainable Apparel Coalition (alliance pour un habillement durable). À terme, cet indice a pour but de représenter, grâce à des méthodologies harmonisées, un système international de mesure de performance des marques.

Mais pour l’heure, Clear Fashion a le champ libre. Moyen de pression sur certaines marques. Outil de communication pour d’autres. La jeune pousse, qui fonctionne pour le moment grâce à une levée de fonds réalisée mi-2019, l’a bien compris. « Des enseignes nous ont demandé si elles pouvaient inscrire la note de leur vêtement directement dessus, ou l’afficher en magasin. On s’est dit que c’était un mode de rémunération intéressant. À terme, le fait d’utiliser le score sera probablement payant », confie Marguerite Dorangeon.

Force de dissuasion

La base de données qui permet de scanner directement le code-barres du vêtement, en plus de l’étiquette, doit permettre de gagner en précision quant aux fournisseurs et à la traçabilité.

Finalement, la solution pour réduire l’impact environnemental de mon dressing ne serait-elle pas plutôt de ne plus acheter neuf ? « Tout ce qui permet plus de transparence, c’est très bien. Mais je ne sais pas si l’on a suffisamment d’informations précises pour le moment, abonde Hélène Sarfati-Leduc. Mieux vaut donc acheter un tee-shirt H&M chez Emmaüs plutôt qu’un tee-shirt neuf de cette marque qui serait en coton bio. D’ailleurs, l’enjeu vers lequel on oriente nos clients, ce sont les nouveaux modes de consommation. Face à la réglementation, aux interdictions de détruire, les marques savent que leur marché traditionnel va être contraint. Aux États-Unis, la seconde main va bientôt dépasser la fast fashion, et de grandes maisons investissent dans des sites de vente d’occasion. »

Là se trouve peut-être la vraie force des applis de notation  : même si leur but n’est pas de faire culpabiliser, elles dissuadent. Depuis que je scrute les étiquettes, j’essaie, j’hésite, je repose… Le prochain vêtement neuf qui se fraiera un chemin jusqu’à mon placard en vaudra le coût ! 

Retrouvez l’interview vidéo de la notre journaliste Séverine Mermilliod ici : “Mon dressing au scanner” : enquête sur l’impact écolo et humain de nos vêtements

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