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Creuser les océans, « des dégâts irréversibles dans les fonds marins »

Alors que les réserves de métaux essentiels à l’économie numérique et à la transition énergétique se vident sur terre, les regards se tournent vers les fonds marins. Si l’exploitation commerciale n’a pas encore commencé, des projets sont en cours et préparent le terrain. Au risque d’endommager des écosystèmes encore largement inexplorés, alertent des scientifiques et des ONG.

Le 01/01/2022 par Sophie Kloetzli
creuser les océans
Le 20 mars, des militants de Greenpeace manifestent à San Diego (états-Unis) contre un navire affrété par Global Sea Mineral Resources (GSR), se préparant à tester son robot minier Patania II sur la côte ouest du Mexique. (Crédit : Martin van Dijl/Greenpeace)
Le 20 mars, des militants de Greenpeace manifestent à San Diego (états-Unis) contre un navire affrété par Global Sea Mineral Resources (GSR), se préparant à tester son robot minier Patania II sur la côte ouest du Mexique. (Crédit : Martin van Dijl/Greenpeace)

Faut-il miner les abysses et creuser les océans pour assurer la transition énergétique ? Question explosive qui oppose deux camps aux positions bien tranchées. Pour les défenseurs de l’exploitation minière en eaux profondes, les métaux stratégiques dont regorgent ces derniers (cobalt, nickel, cuivre, terres rares…) pourraient résoudre l’impasse dans laquelle risque de se trouver le marché des véhicules électriques et des énergies dites « propres » dans un futur pas si lointain. D’un côté, une demande qui grimpe en flèche, de l’autre, les stocks terrestres qui s’épuisent. Selon les dernières prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (IRA) publiées en mai, il faudrait quadrupler les apports en minéraux nécessaires à la transition énergétique d’ici à 2040 pour rester dans les clous de l’Accord de Paris (visant à limiter le réchauffement climatique à 2 °C par rapport au niveau préindustriel). 

Si la pénurie n’est pas encore d’actualité, l’exploitation minière terrestre se fait de plus en plus coûteuse, énergivore et polluante. En raison notamment de la qualité déclinante des minerais trouvés. Sans compter le poids de l’enjeu géopolitique. Puisque ces minéraux se concentrent dans une poignée de pays (cobalt en République démocratique du Congo (RDC), terres rares en Chine, nickel en Indonésie…); et le coût humain dans des mines où règnent bien souvent des conditions de travail déplorables.

Face à ce sombre tableau, les réserves sous-marines font miroiter une alternative présentée comme plus durable. « The Metals Company permettra le passage à l’énergie propre et aux véhicules électriques avec l’impact planétaire le plus léger possible », lit-on sur le site de cette entreprise canadienne; anciennement appelée DeepGreen. Celle-ci fait partie, avec le belge Global Sea Mineral Resources (GSR), des leaders de la conquête de ce qu’on appelle parfois la « nouvelle frontière ».

« Une Terra incognita »

Optimisme non partagé par les ONG environnementales; qui sont plusieurs à avoir alerté sur les effets imprévisibles et potentiellement destructeurs de l’exploitation en eaux profondes. « Les fonds marins sont une terra incognita. Peu de recherches ont été effectuées dans ces régions. On risque d’y faire des dégâts irréversibles », s’inquiète Koen Stuyck, le porte-parole du WWF en Belgique.

L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a déjà répertorié nombre de ces impacts. Destruction des habitats et de la biodiversité des abysses (regroupant crevettes, vers géants, éponges, etc.); création de nuages de particules sédimentaires et modification des propriétés géochimiques de l’eau de fond; pollution sonore et vibrations pouvant perturber la communication des cétacés…

Sont concernés aussi bien les sulfures hydrothermaux et encroûtements cobaltifères que les nodules polymétalliques. Bien que ces derniers reposent sans attache sur le plancher océanique. Responsable de l’unité de recherche « Étude des écosystèmes profonds » à l’Ifremer, Pierre-Marie Sarradin s’interroge sur « l’impact créé par l’exploitation dans la colonne d’eau » (entre le fond et la surface) en raison de rejets de débris, de particules et d’eau résultant de l’extraction. Il ajoute : « Certains se demandent si les perturbations causées sur certains écosystèmes, comme le plancton, pourraient remettre en question la capacité des océans à absorber le CO2. »

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN N°35, paru en août 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.

Creuser les océans : « Un choix politique »

La perspective d’une nouvelle catastrophe écologique nourrie par des dégâts en cascade a motivé le WWF à lancer un moratoire mondial sur l’exploitation minière en haute mer. « Tant que les risques écologiques, sociaux et économiques ne sont pas pleinement compris; que les alternatives ont été épuisées; et qu’il est démontré que l’exploitation minière des fonds marins peut garantir une protection efficace des écosystèmes et de la biodiversité. » Fin mars, BMW, Google, Volvo et Samsung ont signé cet appel.

La bataille se joue désormais sur le plan politique; en faisant pression sur les États concernés et les Nations unies pour protéger les océans contre ce type d’activités, explique An Lambrechts, représentante de la campagne sur la protection des océans chez Greenpeace Belgique. Quelques semaines plus tôt, les militants de l’ONG ont confronté le belge GSR (Global Sea Mineral Resources) lors de ses essais dans le Pacifique. « L’exploitation minière des grands fonds est un choix politique et d’investissement. Cet argent serait bien mieux investi dans l’économie de partage (en réduisant le nombre de voitures) et l’économie circulaire. Ou encore dans une utilisation plus efficace des ressources naturelles », fait valoir la militante. Qui veut croire qu’« il est encore possible d’arrêter la destruction »

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