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Gaspillage alimentaire : « Il y a un manque de connaissance énorme autour de la nourriture qu’on consomme »

Surproduction, surconsommation, dates de péremption trop courtes, défauts sur les fruits et légumes… les causes du gaspillage alimentaire sont multiples. C’est le combat de Merijn Corneel Koops. Rencontre.

Merijn Corneel Koops
Employé chez too Good To Go, le Néerlandais Merijn Corneel Koops lutte à sa manière contre le gaspillage alimentaire. Crédit : Astrid de Rengervé et Carla Dominique.
Employé chez too Good To Go, le Néerlandais Merijn Corneel Koops lutte à sa manière contre le gaspillage alimentaire. Crédit : Astrid de Rengervé et Carla Dominique.

Merijn Corneel Koops est un jeune Néerlandais de 29 ans qui dispose déjà d’une expérience d’une dizaine d’années dans le domaine de l’alimentation. Il a commencé ses études par une école de cuisine en Belgique, avant de retourner aux Pays-Bas pour étudier le management hôtelier. En parallèle, il a vécu plusieurs expériences internationales et travaillé dans la restauration.

C’est là que j’ai découvert l’ampleur du gaspillage alimentaire. À la fin de chaque service, on devait jeter des quantités très importantes, alors que j’avais toujours été éduqué à préserver la nourriture”. Mais c’est surtout lorsqu’il a découvert le Slow Food Youth Network que Merijn a eu un déclic, l’amenant à s’intéresser au lien entre alimentation et développement durable. Depuis bientôt 2 ans, il s’engage contre le gaspillage au sein de l’entreprise Too Good To Go à Amsterdam.

Changearth Project est une série de portraits de jeunes engagés pour la transition écologique, partout en Europe. Co-créé par deux étudiantes, Astrid et Carla, ce projet vise à mettre en lumière ces jeunes qui se mobilisent en faveur du climat et de la biodiversité, et à inspirer les autres à faire de même. Tout au long de l’été, WE DEMAIN va publier une fois par semaine l’un de ces portraits engagés.

Too Good To Go, la start-up qui lutte contre le gaspillage alimentaire

Too Good To Go est une start-up à impact qui met en relation des particuliers avec des commerces (boulangeries, restaurants, supermarchés, etc.) qui possèdent des invendus. Les utilisateurs de l’application peuvent alors récupérer des paniers de nourriture à bas prix, et éviter que leur contenu ne soit jeté. Si l’idée est née au Danemark en 2015, l’application a ensuite été lancée en France en 2016. Elle s’est étendue à l’international et est aujourd’hui présente dans 17 pays.

Côté clients, « il y a une grande diversité de personnes qui utilisent l’appli. Ceux qui le font parce qu’ils se soucient du développement durable, et d’autres pour qui c’est un moyen d’accéder à des aliments à prix cassé. » Quant aux commerces, Merijn Corneel Koops explique qu’ils ont tendance à s’inscrire sur l’application car ils ne savent pas quoi faire de leurs surplus et se soucient de plus en plus de l’environnement. Cela leur donne également accès à des revenus supplémentaires, en vendant des produits qui auraient été jetés. 

Le jeune homme a rejoint l’antenne néerlandaise lancée il y a 3 ans, qui s’appuie désormais sur une équipe de 60 personnes. « Au début, on s’est focalisés sur les gros supermarchés, puis j’ai été embauché pour mettre en place une nouvelle stratégie et convaincre le plus de restaurants possibles de travailler avec nous. Maintenant, je m’occupe aussi des gros producteurs, un secteur où il y a beaucoup de gaspillage. » Ce qui lui plaît le plus, ce sont ses missions très variées. « On agit selon les surplus qui arrivent, en trouvant des solutions rapides pour sauver ces invendus. On grandit vite et on a la possibilité de développer nos idées, nos propres concepts et d’avancer.« 

Un système alimentaire qui conduit à des surplus

Les paniers vendus sur l’application comportent des produits qui arrivent bientôt en date ou sont périmés le jour même. Mais, pour Merijn, « il y a beaucoup de produits avec une date de péremption qui n’a aucun sens. Certaines entreprises payent pour avancer la date de péremption ou en mettent sur des produits comme les bouteilles d’eau. » Une autre source de gaspillage provient du fait que les producteurs doivent toujours être en mesure de fournir les quantités définies par leurs contrats avec les distributeurs, notamment les chaînes de supermarchés. Cela les incite à produire plus et à avoir des stocks supplémentaires, souvent jetés. 

Il y a aussi le problème des exigences très strictes des supermarchés. « S’il y a des petits changements ou défauts dans un produit, les supermarchés n’en veulent pas. Et ce, même si c’est de la bonne nourriture qui peut être consommée. » Enfin, le système alimentaire peut facilement être perturbé par des changements saisonniers. Par exemple, « quand il fait beau, les produits liés au barbecue vont être plus demandés. Au contraire, s’il fait mauvais durant l’été, la consommation de glace baisse. » Or, tous ces aliments et leurs ingrédients sont déjà produits 6 mois avant. 

Pour faire face à tous ces problèmes, la start-up a noué des partenariats qui permettent aux utilisateurs de récupérer les invendus des producteurs directement dans les commerces. De plus, quand ils anticipent une hausse des invendus, ou lorsqu’un producteur les contacte directement, ils organisent des événements ponctuels pour sauver les aliments. « En juillet 2021, on a organisé un grand marché Too Good To Go, avec 2 000 paniers de nourriture distribués en un jour. On a aussi donné 4 camions de nourriture aux banques alimentaires, avec lesquelles on travaille. » L’entreprise donne ainsi régulièrement de la nourriture à l’association selon ses besoins.

Le gaspillage alimentaire : quel impact ?

1/3 de la nourriture produite dans le monde est gaspillée, et, selon la FAO, ce gaspillage est responsable de 8 % des émissions globales de gaz à effet de serre. « Too Good To Go grandit vite, mais, rien qu’aux Pays-Bas, il y a encore tellement de nourriture gaspillée. » Le pays, contrairement à la France, n’oblige pas encore les supermarchés à revaloriser leurs invendus, notamment en les donnant à des associations. C’est là qu’intervient Too Good To Go. « Ici, on a la chance d’avoir 2 millions de personnes qui utilisent l’application, et 98 % de la nourriture présente y est vendue. On en est très fiers. » 

Au niveau mondial, ce sont 110 millions de repas qui ont été sauvés depuis le lancement de l’application. Et 52 millions de repas rien qu’en 2021. « On sent que les choses avancent. Je pense que beaucoup d’entreprises sont d’accord pour agir et veulent réduire leur impact environnemental. Elles savent aussi qu’elles ont intérêt à le faire car elles anticipent des futures lois anti-gaspillage. »

Des solutions simples mais efficaces pour réduire son gaspillage alimentaire

Mais, le jeune homme le souligne, les consommateurs doivent eux-aussi apprendre à réduire leur gaspillage alimentaire, particulièrement en Europe. “On agit à tous les niveaux : on a par exemple un compte Instagram où on en parle beaucoup. » La start-up a même lancé un magazine qui donne des conseils facilement applicables – comme faire une liste de courses et s’y tenir, sans se laisser tenter par des offres promotionnelles – et des recettes pour apprendre à cuisiner avec les restes.

« Une fois par semaine, on peut par exemple utiliser les restes du frigo pour cuisiner des soupes ; ou les restes de pain pour faire du pain perdu ou des croûtons. C’est surtout une question de changement d’état d’esprit. » Merijn a lui-même été très inspiré par le chef slovaque Vojtech Végh : « Il est très réputé pour sa cuisine zéro déchet. Dans ses plats, chaque aliment est utilisé en entier. Je vous conseille de lire son livre intitulé Surplus : The food waste guide for chefs.« 

Un réseau pour une alimentation plus durable : le Slow Food Youth Network

Merijn s’engage aussi depuis 8 ans au sein du Slow Food Youth Network. Lancée en Italie, cette organisation est désormais active dans 160 pays. Elle promeut la Slow Food: une alimentation durable et reposant sur des produits à la fois « locaux, bons, sains et accessibles à tous« . 

« C’est génial de faire partie de ce mouvement ouvert à tout le monde, avec des opinions différentes et des chefs qui viennent de tous les continents. » Pour le jeune Néerlandais, « l’alimentation est un sujet central. C’est un bon point de départ pour parler de durabilité car il concerne tout le monde. Or, c’est aussi un domaine qui a un très fort impact sur l’environnement. » Le Slow Food Youth Network aborde des sujets variés comme le gaspillage alimentaire, la surconsommation de viande, la surpêche, la baisse de la qualité de la nourriture et des sols ou encore la production de masse. Il défend la gastronomie locale, y compris les aliments en voie de disparition. 

Pour éduquer à ces sujets, ils communiquent via les réseaux sociaux. Ils interviennent aussi dans des évènements, des festivals ou des écoles primaires. « Par exemple, j’ai participé à une campagne de promotion des doggy bags. On avait quatre personnes déguisées en chien pour motiver les gens à y avoir recours. Nous travaillons aussi avec l’organisation ‘Disco soup‘ . Ce sont des soirées où on cuisine avec les restes, et on assiste à des conférences sur la Slow Food. »

« On devrait mieux respecter la nourriture et les personnes qui la produisent »

Le réseau marque ainsi son opposition à la « Fast Food » et à la grande consommation. « Il y a un manque de connaissance énorme autour de la nourriture qu’on consomme. On est tellement éloignés des aliments qu’on mange qu’on ne sait pas d’où ils viennent. Par exemple, les personnes qui consomment de la viande de supermarché ne voient pas l’effet sur la déforestation au Brésil. On devrait mieux respecter la nourriture et les personnes qui la produisent« , résume Merijn. 

Au niveau politique, le mouvement tente de faire évoluer la législation européenne. Un tiers du budget de l’Union Européenne est en effet dédié aux subventions agricoles. Cela permet, certes, d’avoir accès à de la nourriture à bas prix en grande surface. Mais, pour le jeune homme, ces subventions sont aussi responsables du rapport erroné que nous avons à la nourriture, en raison de son prix si faible. “Les subventions devraient être conditionnées aux efforts pour rendre l’agriculture plus durable. Le Green New Deal (Pacte vert pour l’Europe) inclut des changements qui vont dans ce sens. Mais ça ne va pas assez vite ni assez loin. En particulier, il faut réguler les pesticides, qui déciment la biodiversité. » 

Et pour la suite ?

Merijn souhaite continuer à travailler chez Too Good To Go à Amsterdam, où il a de nouvelles responsabilités sur les questions de diversité, d’équité et d’inclusion. « Je suis très heureux ici car je peux voir mon impact de manière concrète avec la nourriture sauvée. Je pense que les start-ups accélèrent le changement et peuvent faire bouger les choses. Alors que les grandes entreprises, elles, sont bloquées avec leurs anciens modèles et habitudes. » Et, bonne nouvelle, moins gaspiller pour contribuer à sauver la planète est à la portée de tous!

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