Partager la publication "Vins de Bourgogne : sur les chemins magiques de la biodynamie"
Un ciel de printemps laiteux plonge la Bourgogne dans une grisaille qui estompe les couleurs du vignoble de la côte de Nuits et ne laisse au regard que la calotte boisée des collines. En ce début mars, on s’affaire aux dernières tailles avant la poussée vitale du printemps. Avant la sève qui de feuilles en grappes va conduire la plante au fruit dont on fait les meilleurs vins du monde. En côte de Nuits comme en côte de Beaune, les plus grands vins sont issus de vignes en biodynamie.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°34, paru en mai 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.
L’agriculture biologique bannit les engrais et pesticides de synthèse, préférant leurs homologues naturels. La biodynamie replace la plante dans l’écosystème qui l’entoure. Le vigneron biodynamiste intègre les influences astrales; la nature et la vie du sol; le système racinaire de la vigne; le climat; la biodiversité et ses propres ressentis du lieu et de la plante. Il recourt à des préparations végétales, minérales ou animales à dilution homéopathique; améliorant les échanges entre la plante, le sol, l’air, l’environnement.
Pour Cyprien Arlaud, vigneron à Morey-Saint-Denis (Côte-d’Or), passer de la bio en 2004 à la biodynamie en 2014, « c’est une porte d’entrée pour découvrir toute la sensibilité, la subtilité du vivant, le champ des possibles sur un pied de vigne, sur une qualité de sol, ce qu’il faut prendre en considération pour avoir une plante en bonne santé. » Son collègue Jean-Claude Rateau, biodynamiste depuis 1979, parle de la plante comme d’une personne. « Elle subit une série de stress extraordinaire, il faut l’accompagner ; pour ça, il faut la comprendre et agir au bon moment. »
Même vision à Gevrey-Chambertin (Côte-d’Or). Ingénieur agronome, Nicolas Rossignol-Trapet est, avec son frère David, à la tête d’un domaine de 13 hectares où le pinot noir règne en maître. « Il faut revenir dans les champs, observer beaucoup plus. » Dans les trois ans qui ont suivi leur conversion à la biodynamie, leurs vignes ont toutes eu leur maladie propre; « une expulsion qui les a fait gagner en résistance naturelle ».
Nicolas les a aidées avec les préparations biodynamiques. « Il n’y a rien de plus naturel que la silice, c’est un des éléments les plus importants sur terre. La dynamisation de la préparation, le moment choisi pour la pulvériser en fonction du calendrier lunaire, peut paraître étrange. Mais on ne peut nier l’influence de la lune sur les marées. »
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Cette approche holistique suscite des détracteurs, le plus souvent étrangers au monde viticole, qui y voient une pseudoscience ésotérique à bannir comme ils bannissent l’homéopathie. Cette défiance s’enracine dans l’origine de ce courant conceptualisé par Rudolf Steiner (1861-1925), philosophe austro-hongrois fondateur de l’anthroposophie, une doctrine spirituelle controversée. Il a exposé sa théorie agricole un an avant sa mort; dans une série de conférences sténographiées sans correction de l’auteur. Sa mise en pratique et le terme biodynamie sont postérieurs à son décès. L’essor de cette technique en viticulture tient à son perfectionnement continu via l’expérimentation et à son partage en réseau professionnel.
Pas de messe sous la pleine lune, pas d’incantations de sorcières… Mais un effort incessant de perception fine des mécanismes du vivant. La science n’y met pas encore de mots, les vignerons y mettent les leurs. Ressenti, ondes, vibrations, tensions, échanges d’informations entre plante, sol et humain, force vitale, corps éthérique, correspondant à leur représentation mentale des interactions complexes entre les millions d’organismes vivants d’un terroir et leur milieu. Pour Frédérick Buisson, vigneron avec son frère Franck à Saint-Romain (Côte-d’Or), « on n’est plus seulement dans la matière mesurable mais dans quelque chose de non quantifiable qui influe sur la matière ».
Pour autant, les deux frères se gardent de tomber dans la croyance en des forces occultes et s’arriment avec humilité à « l’empirisme qui nous donne la certitude de ce que l’on fait à la vigne ici mais qui n’est peut-être pas vrai à Sancerre. Bien que nous ayons tous les deux Bac + 5, on a encore beaucoup à apprendre ».
Démarche identique chez Gilles Ballorin, fils de cheminot, ingénieur commercial devenu vigneron en 2005 : « Vous faites, ça marche, vous continuez ; ça ne marche pas, vous arrêtez. Si ça marche sans être prouvé, cela ne me dérange pas. Notre approche est pleine de bon sens, les tisanes d’ortie, de prêle, de propolis, d’aspirine végétale, ça fonctionne. » Philippe Pacalet, biochimiste de formation et vigneron à Beaune où il garde de la biodynamie les préparations quand il en a besoin, estime qu’elle lui a « apporté un éveil de l’esprit » et qu’elle « amène les gens à s’intéresser à l’information qui est contenue dans la matière ».
La biodynamie sait comment conduire une vigne. La science commence à peine à dissiper le brouillard du pourquoi de son efficacité. Sous la direction de Lionel Ranjard et Jean Masson, deux équipes de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) mènent conjointement l’étude Eco VitiSol 2019-2023 en Bourgogne et en Alsace. Leur but : évaluer l’influence des différentes pratiques viticoles (conventionnel, bio, biodynamie) sur la qualité microbiologique des sols. Les premiers résultats montrent une différence significative du nombre d’interactions observées entre les bactéries et les champignons du sol : 1 400 liens en conventionnel, 1 700 en bio, 49 000 en biodynamie.
Benoît Fouassier, installé avec son cousin Paul à Sancerre (Cher), raconte que les biodynamistes sont « heureux d’aller se promener dans les vignes, de les voir en bonne santé ». Une santé entretenue avec des tisanes, des décoctions et les fameuses préparations fondamentales 500 et 501. La 500, ou bouse de corne, se prépare en bourrant de bouse une corne de vache que l’on enterre l’hiver, puis que l’on dilue dans l’eau avant de la pulvériser sur la vigne au printemps, en respectant le calendrier lunaire. Pour Gilles Ballorin, « la 500 envoie le signal du réveil au sol ». Elle régule l’acidité du sol, favorise l’absorption hydrique, stimule la croissance du système racinaire et son développement vertical vers la roche-mère où se trouvent les minéraux spécifiques au terroir. La 501, ou silice de corne, « stimule la résistance des plantes en renforçant l’épiderme des feuilles et des fruits et lutte contre les maladies cryptogamiques [maladies fongiques, ndlr] ».
Paul Fouassier l’affirme : « En 2020, nous sommes restés six mois sans une goutte d’eau. Nos vignes n’ont jamais souffert de la sécheresse, alors que celles en conventionnel ont défeuillé. Leurs raisins rétrécissaient et ne mûrissaient plus. » Son cousin Benoît, qui se dit « très cartésien », convient que « la préparation silice relève de l’abstrait. Mais en faisant l’essai de pulvériser la moitié d’une parcelle et pas l’autre, on se rend compte visuellement de l’effet ».
Même expérience chez Guilhem Goisot, vigneron à Saint-Bris-le-Vineux (Yonne). « En 2001 et 2002, ma vigne martyrisée par des orages de grêle s’est rétablie plus vite que ses voisines grâce à des traitements à base de valériane, de propolis et d’arnica. » La vigne répond à la sollicitation biodynamique.
« Il y a des milliers de pinots noirs, confie Aubert de Villaine, à la tête de la prestigieuse romanée-conti, climat en monopole cultivé en bio depuis 1985, certifié en biodynamie en 2006. On a eu la chance, au domaine, d’avoir conservé la romanée-conti en vigne non greffée jusqu’en 1945. Cette vigne a fourni des greffons. On a une mine de “plant fin” issu de cette romanée alors âgée de 400 à 500 ans. » L’origine du pinot noir se perd dans la nuit de la domestication des plantes, vraisemblablement en Bourgogne. Le pinot viendrait du noirien gaulois récupéré dans les vignes sauvages.
Génétiquement, il est l’ancêtre de nombreux cépages (mondeuse, gamay, syrah, chardonnay…). « Fragile à la vigne, sensible au froid et au rendement », selon Paul Fouassier. Mais avec « des qualités aromatiques importantes », selon Nicolas Rossignol-Trapet. Il fait l’unanimité sur sa « délicatesse ». Et pour Emmanuel Giboulot, vigneron à Beaune (Côte-d’Or), un temps poursuivi pour avoir refusé d’épandre un insecticide sur ses vignes, il est « un fabuleux révélateur de lieu ». Le véritable alchimiste des 1 247 climats bourguignons auquel les biodynamistes s’appliquent à transmettre le maximum d’informations du sol.
En cave, avec le pinot noir, « il faut y aller souple et détendu sur les vinifications », raconte Paul Fouassier, adepte du pigeage. Cette méthode consiste à fouler pieds nus la croûte de raisin; qui remonte à la surface de la cuve pour faciliter l’extraction des éléments contenus dans la peau des raisins. Emmanuel Giboulot vit cette opération comme « une facette de la relation consciente avec notre plante, notre vin. Une acceptation de ce que notre personne puisse influencer le résultat ».
Jean-Claude Rateau estime que « pour faire un grand vin, il suffit d’avoir le meilleur raisin possible, c’est tout, on le met dans la cuve et on le laisse tranquille ». Vision que ne partage pas Philippe Pacalet, qui a appris auprès de son oncle Marcel Lapierre (pionnier du vin nature) « à accorder autant d’attention à la vinification qu’à la culture ». Laissons conclure Cyprien Arlaud pour qui « la vigne est une vue de l’esprit, une plante en permanence modelée par la main de l’homme et le vin un aliment, pas un marqueur social ».
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