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Annalena Baerbock, l’écolo qui veut remplacer Merkel

Son profil pragmatique

« Annalena Baerbock fait partie de ces jeunes militantes vertes qualifiées, diplômées, très à l’aise dans les institutions européennes. Elle n’a plus grand-chose à voir avec la vieille garde écologiste allemande, qui s’affrontait entre “Fundis”, les fondamentalistes hostiles à toute participation au gouvernement, et les “Realos”, les partisans de s’allier avec les partis de gauche pour faire avancer leurs idées. Quand elle rejoint les Verts en 2003, elle est “réalo deuxième génération”, c’est-à-dire qu’elle est prête à s’allier avec la gauche comme avec la droite pour négocier son programme. Elle possède cette culture du compromis utile qui n’existe pas chez les Verts français, toujours hostiles à toute alliance à droite. »

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°35. Actuellement disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

Ses débuts en politique

« Sa carrière a été rapide. Elle a fait ses armes en 2009 dans le Brandebourg, puis elle est élue au Bundestag en 2013, réélue en 2017. Elle devient la porte-parole des Verts sur la politique climatique. Tout de suite, connaissant ses dossiers, concrète, réformatrice, elle s’impose comme une voix qui compte. Sa présence aux accords de Paris de 2015 (“avec ma fille”, comme elle le rappelle souvent) lui confère une notoriété internationale. »

Son plan pour sortir du charbon

« Le grand problème allemand est d’avoir supprimé ses centrales nucléaires pour s’appuyer sur les centrales à charbon. Au Bundestag, Annalena Baerbock s’est emparée du dossier et s’est spécialisée dans la transition énergétique. Depuis, elle se démène pour sortir du charbon en 2030, incollable sur les possibilités du solaire et des énergies renouvelables. »

À lire aussi : Transition écologique, un million d’emplois à la clé

Son mental de sportive

« Je l’ai croisée dans les institutions européennes. Je dirais qu’elle est à la fois très énergique et douce. Elle possède la force de caractère d’une ancienne championne sportive, saut en trampoline, football, sachant exactement ce qu’elle veut, tout en étant une femme ouverte, sympathique, cool. En 2018, elle est élue à la tête des Verts avec 97  % des voix aux côtés de Robert Habeck, un intellectuel. Leur duo a théorisé la nouvelle stratégie médiatique des Verts : “La raison rend plus sexy”. Le principe est que les Verts parlent à toute la société, pas aux seuls bobos, en s’appuyant sur des arguments solides, rationnels, sans céder aux haters [haineux, ndlr] et aux polémiques. Annalena Baerbock fait très bien cela. Face à l’extrême droite et aux vieux leaders de 65 ans du CDU, elle incarne la génération montante, ouverte, d’avenir, pragmatique, au discours précis et argumenté. »

Son côté féministe

« À l’approche des élections, Habeck s’est retiré en sa faveur pour qu’elle puisse briguer le poste de chancelière. Elle-même, sans en faire l’axe central de son argument, a mis dans la balance sa féminité, sa situation de mère de deux enfants, de femme jeune, normale, proche de sa famille. En cela, elle tranche avec Merkel, une tête politique à sang-froid, qui n’a pas d’enfant. Pendant la crise du coronavirus, Annalena Baerbock a défendu un tas d’idées pour maintenir l’éducation, elle est apparue très préoccupée par ces questions. Beaucoup de femmes se sont reconnues en elle. »

Son goût des alliances

« Cette élection à la tête des Verts à l’unanimité en dit long sur la maturité du parti allemand. Elle serait impossible en France où les Verts veulent faire une primaire pour la présidentielle alors qu’ils ont un candidat crédible, Yannick Jadot. Il pourrait mener l’alliance avec le PS, constituer une nouvelle force politique. Mais non, d’autres candidats sont déjà en lice. Ils disent que Jadot n’est pas assez de gauche ou qu’il ne les représente pas. Alors qu’ils ne dépassent pas 2  % dans les enquêtes d’opinion. Les Verts français se débrouillent toujours pour jouer à qui perd gagne. On s’en souvient quand ils ont désigné Eva Joly contre Nicolas Hulot. »

Son réalisme économique

« Depuis la fin des années 2000, les Verts montent. Ils ont recueilli 17  % des voix en Bavière, 18  % en Hesse, ils ont codirigé le Bade-Wurtemberg. En mai, ils sont montés à 25  % et plus dans les sondages, loin devant le SPD, à jeu égal avec le CDU. Même si le parti de Merkel est reparti à la hausse depuis les élections de juin en Saxe. Comment expliquer de tels résultats ? Les Verts ont occupé des postes à responsabilités dans les Länder. Où ils ont développé des politiques d’espaces verts, des écoquartiers, l’économie circulaire, le vélo… Ils se sont fait connaître en améliorant la vie quotidienne des gens.

Les Verts défendent aujourd’hui un programme politique crédible, keynésien, promouvant un État régulateur, avec des investissements “durables” cherchant la neutralité carbone, un État stratège qui a la cote depuis la pandémie. Ils ne craignent pas de discuter avec le patronat, d’aborder les questions d’écologie industrielle. Ils défendent les nouveaux matériaux écologiques, les technologies “vertes” –, en cela ils sont très allemands, très techniques. »

Ses freins et limites

« Annalena Baerbock a-t-elle des chances de se retrouver chancelière après les prochaines élections ? Cela va être difficile. Le potentiel de la CDU se situe entre 28 et 30  %, celui des Verts autour de 20  %. Leur programme de transition écologique va assez loin dans la décarbonisation de l’économie, et prévoit d’augmenter la taxe carbone. Cela va automatiquement se traduire par une hausse du prix de l’essence de 16 centimes à la fin 2022. Un sondage publié en mai a révélé que 75  % des Allemands sont contre. Théoriquement, de nombreux citoyens se disent prêts à s’engager contre la dégradation climatique. Mais dès qu’on entre dans le concret, les majorités sont réticentes. Souvenons-nous des réactions des gilets jaunes en France ! Tout va dépendre de la capacité des Verts à expliquer leur politique de transition et proposer des accommodements. »

Sa chance de victoire

« Vu la tradition allemande des coalitions et des compromis, je dirais qu’à 90  %, les Verts seront dans un gouvernement à dominante CDU où Baerbok jouera un rôle. Mais ne jurons de rien, il pourrait se nouer une situation où les Verts font 25  %, le SPD 15  % et les libéraux 10  %, et alors cette coalition offrirait à Annalena Baerbock un titre de chancelière… » 

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