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Julien Bayou : « L’urgence écologique nous porte »

En pleine primaire écologiste, le patron d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou, revient sur les enjeux du scrutin et les défis des Verts à la présidentielle 2022.

Le 16/09/2021 par Alice Pouyat
Julien Bayou
Julien Bayou (Crédit : Wikimedia)
Julien Bayou (Crédit : Wikimedia)

Les votes sont ouverts ! Après le premier tour de la primaire écologiste du 16 au 19 septembre, un deuxième tour se tiendra du 25 au 28 septembre. D’ores et déjà, les Verts peuvent se vanter d’une mobilisation record : 122 670 personnes se sont inscrites. Soit bien plus qu’en 2012 et 2016 (32 896 et 17 146 inscrits). Objectif : départager 5 candidats, Delphine Batho, Jean-Marc Governatori, Yannick Jadot, Éric Piolle et Sandrine Rousseau. Le secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts (EELV) Julien Bayou revient sur les enjeux de ce scrutin et les défis qui attendent les Verts à la présidentielle 2022.

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Julien Bayou, quel bilan tirez-vous de cette campagne ? Presque 123 000 inscrits, c’est un record pour les écologistes…

Julien Bayou. Oui, nous sommes très contents. Cela signe vraiment un intérêt pour l’exercice qui n’est pas évident. Un débat télé, normalement, vous y allez pour contredire le voisin. Là, les candidats ont fait preuve de respect les uns envers les autres. Et je crois que c’est une attente des Français : que les candidats se démarquent bien sûr mais qu’ils se respectent et respectent le corps politique. Ensuite, je ne sais pas qui va gagner mais les débats ont montré que cette personne sera en ligne avec notre projet. Elle sera pour l’écologie, la redistribution fiscale, l’accueil des réfugiés, féministe, pro-européenne, tout en voulant faire bouger le fonctionnement actuel de l’Europe…

Comment expliquez-vous cette hausse des inscriptions ? Un intérêt croissant pour l’écologie, la facilité du vote en ligne, une dispersion de la gauche…?

C’est essentiellement dû à la compétence du secrétaire national (rires). Non, je plaisante ! Cela s’explique je pense par l’intérêt pour l’écologie, une idée qui nous dépasse grandement. D’ailleurs 90 % des participants ne sont pas adhérents à l’un des partis organisateurs. C’est énorme. Mais après le rapport du GIEC, après le Congrès mondial sur la biodiversité, après l’été qu’on a vécu… le contraste entre l’urgence écologique, l’inaction de Macron ou les discours lénifiants de la droite est béant. Finalement, c’est cela qui nous porte. Je discute de temps en temps avec le secrétaire national du parti de 1989, Alain Fousseret, qui passait pour un idiot quand il alertait sur le dérèglement climatique avant le premier rapport du GIEC de 1990. Il fallait de l’abnégation ! Aujourd’hui, on a la partie presque facile. Malheureusement. 

Qui sont les nouveaux inscrits ? Les écolos ont la réputation d’être surtout des « bobos » urbains ? Avez-vous élargi votre socle ?

Nous n’avons pas demandé l’âge ou le code de postal des inscrits mais les dernières élections régionales et départementales ont montré que cette idée sur les écolos est fausse. On a fait des scores historiques dans des quartiers populaires et dans des zones rurales. Pour arriver au second tour dans la région Ile-de-France, vous ne pouvez pas vous concentrer sur les meilleurs quartiers de Paris. En Ille-et-Vilaine ou en Isère, on a montré aussi que le fossé entre « l’écologie des champs » et « l’écologie des villes » n’est pas si important. Tout simplement parce que les quartiers populaires sont les premières victimes de l’inaction climatique ! Si vous êtes papa ou maman, c’est souvent dans les quartiers défavorisés que la pollution et les bronchiolites à répétition sont les plus importantes. Et si votre appartement est mal isolé, vous aurez plus de mal à déménager…

On a aussi parlé d’infiltrés, notamment d’extrême droite, à cette primaire. Sont-ils en mesure de peser sur le scrutin?

A chaque primaire, c’est un peu le jeu de se faire peur. Mais il n’y a pas eu de forte déstabilisation par le passé. De plus, nous avons des outils de contrôle. On se rend bien compte quand une carte bleue, un numéro de téléphone et un mail sont utilisés trois fois… On utilise aussi des pare-feu invisibles, anti-robot, on vérifie les adresses IP… Et l’on n’a pas eu à sévir trop. 

Par ailleurs, hormis le facho antiféministe, anti-Europe, raciste, opposé à la charte de nos valeurs, des personnes qui ont toujours voté à droite par exemple mais qui décident de participer sont les bienvenues. Peut-être qu’elles ont réalisé que l’avenir de leurs enfants ou de leur alimentation se joue avec l’écologie. Nous ne sommes pas là pour sonder les âmes. Et puis s’il y a des socialistes qui ont si peu confiance dans leur candidate qu’ils préfèrent participer au choix d’un autre, ils sont les bienvenus aussi… 

« Notre écologie n’est pas trop radicale. Les Français n’ont plus envie d’eau tiède. »

Une des questions assez présentes dans cette primaire écologiste a été celle du féminisme. Vous-même, Julien Bayou, venez de publier un livre en écriture inclusive En vert et avec tou.tes (1). Au risque d’effrayer une partie de l’électorat ? 

Cela ne devrait effrayer personne. Le féminisme ne retire aucun droit, et il est intrinsèquement lié à l’écologie. Tous les éléments montrent par exemple que les femmes sont les premières victimes du dérèglement climatique. Si vous prétendez diriger le pays, alors il faut aussi le faire pour les femmes qui représentent 52 % de la population française. C’est pour nous une évidence. 

Ensuite, il ne faut pas confondre le bruit et la masse : pour quelques personnes assez vocales qui protestent, vous avez en fait la majorité de la population qui bascule. Un peu comme pour le mariage pour tous. On voyait du monde défiler dans la rue avec des slogans chocs. Alors qu’en fait la majorité de la population avait déjà basculé au moment de la loi. Et, un an plus tard, l’idée que des personnes du même sexe puissent se marier était complètement « digérée ». On appelle cela le raidissement, le backlash. Quand une idée progresse dans l’opinion, il y a un raidissement de la fraction qui perd le terrain et qui est d’autant plus virulent.

Plus largement, l’écologie doit-elle être moins « radicale »,  plus « à l’allemande », pour exercer le pouvoir ? 

Il y a beaucoup de manières de vous répondre, la première est que nous sommes parfaitement alignés avec nos amis Grünen. Pour preuve, j’ai choisi de mettre la primaire au moment de l’élection allemande. Ce n’est pas une coïncidence. D’ailleurs nous votons depuis des années ensemble au Parlement européen sur tous les sujets, y compris les plus litigieux, israélo-palestiniens, protection des travailleurs…. Donc l’idée qu’il y aurait des écoloréalistes et des Français radicaux ne résiste pas à l’analyse des faits. La droite est divisée au Parlement européen, le Parti socialiste européen se déchire régulièrement sur la question des traités commerciaux…. Pas nous. 

Le deuxième point est que je ne crois pas qu’il y ait une envie d’eau tiède dans ce pays. Il y a une envie de justice, justice fiscale, sociale, écologique, salariale, à l’égard des contrôles au faciès, des discriminations… Le temps des filets d’eau tiède est révolu. Les renoncements, on en a déjà beaucoup souffert : cela s’appelle le quinquennat Hollande ! Donc, je ne crois pas que notre écologie soit trop radicale. Et je ne crois pas qu’il y ait une attente de ne rien changer dans ce pays. On est pragmatiquement radicaux et radicalement pragmatiques comme vous voulez. Il y a des mairies, à Lyon, à Grenoble évidemment, qui s’organisent pour que les gamins puissent manger à la cantine du bio, du bon, du local…. Est-ce radical ou pragmatique? Je ne sais pas. Mais c’est bienvenu. 

« On peut s’accorder avec un arc assez large de forces politiques. »

Les candidats écolos ont tous promis de ne pas se retirer en faveur d’un candidat de gauche en 2022. Comment alors convaincre la gauche de vous rallier? 

En lui proposant de soutenir l’écologie ? Ça se fera d’autant plus facilement que la gauche est en train d’évoluer pour se dire écologiste. C’est une bonne nouvelle. Si elle prolonge le raisonnement elle trouvera tout à fait logique et constructif de soutenir la candidature écolo. Je pense qu’on peut avoir un contrat de gouvernement qui laisse des choses ouvertes au temps du débat, mais qui fixe des points d’horizon. L’égalité salariale ou la lutte contre les violences faites aux femmes qui n’ont pas beaucoup avancé sous Manuel Valls par exemple. Une redistribution fiscale, peut-être un ISF climatique… L’idée n’est pas forcément de se mettre d’accord sur le taux exact de l’impôt, mais d’envoyer un signal d’une mesure structurante, basculante. On peut s’accorder avec un arc assez large de forces politiques. En tout cas, ce sera la mission de la candidate ou du candidat, et la mienne, à l’automne.

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Certains citoyens semblent chercher de nouvelles formes de mobilisation. Pourrait-il y avoir une campagne plus « participative » par exemple, pour fidéliser les inscrits à la primaire et élargir votre base ?

Ça, c’est très clair. Je ne crois pas que les gens, et en particulier la jeunesse, soient dépolitisés. Le problème n’est pas la demande, mais l’offre. Il ne faut pas s’étonner si personne ne va sur 3615 EELV ! Les mouvements politiques doivent s’adapter. Cette primaire est un des moyens. Ensuite, on a une contrainte indépassable : c’est le respect de la vie privée et des données personnelles. Nous ne pouvons recontacter les inscrits à la primaire qu’une seule fois. Mais on réfléchit à constituer un mouvement qui permette de s’engager, selon son temps, son énergie, ses envies… Un peu comme chez McDonald’s, en disant aux gens « Venez comme vous êtes ». Cela pour remplacer Emmanuel Macron et faire de la France un beau pays écologiste, de justice sociale et démocrate : voilà la lourde tâche qui reposera sur l’équipe présidentielle. 

(1). En vert et avec tou.tes, de Julien Bayou, Editions JC Lattès.

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