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Contraception masculine : où en est-on ?

Boulocho, andro-switch, énanthate de testostérone… Avec ces méthodes expérimentales – et encore souvent artisanales –, des hommes reprennent le contrôle de leur fertilité. WE DEMAIN a infiltré le petit cercle des Français adeptes de la contraception masculine.

Le 03/03/2021 par Pauline Allione
contraception masculine
Valentin a d’abord porté le slip contraceptif (comme ici) avant de passer à l’andro-switch, un anneau en silicone qui repose également sur le maintien testiculaire. (Crédit : Ulrich Lebeuf)
Valentin a d’abord porté le slip contraceptif (comme ici) avant de passer à l’andro-switch, un anneau en silicone qui repose également sur le maintien testiculaire. (Crédit : Ulrich Lebeuf)

« Ça y est, je suis enfin contracepté ! » »Yes ! Félicitations ! » La nouvelle est célébrée par un check. Un mois après sa vasectomie, un spermogramme est venu confirmer la stérilité de Robin. Et cette semaine, c’est justement chez lui que ça se passe, dans l’hypercentre de Toulouse. Ce soir-là, les membres de la récente association Garcon (groupe d’action et de recherche sur la contraception) accueillent qua­tre nouveaux, curieux de la contraception masculine.

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN N°28, paru en Novembre 2019, disponible sur notre boutique en ligne.

Autour de la table, ils sont une petite dizaine, hommes et femmes, à discuter, avec du fil et une aiguille entre les doigts. « Tu prends une chaussette de bébé, tu découpes cette partie et tu l’enroules autour du lacet », m’explique Thomas, joignant le geste à la parole.

​Un slip contraceptif DIY

Comme les autres, il fabrique sur mesure un slip contraceptif. Surnommé « boulocho » ou « remonte-couilles toulousain » (alias RCT, à ne pas confondre avec le Rugby Club Toulonnais…), ce sous-vêtement mis au point dans les années 1970 par le Dr Roger Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse, repose sur la méthode thermique.

Il est conçu de façon à remonter les testicules dans la poche inguinale où ils gagneront 2° C supplémentaires, soit les 37° C du corps humain. Porté quotidiennement pendant quinze heures, le slip freine la production de spermatozoïdes pour tomber sous le seuil de fertilité (1 million de spermatozoïdes par millilitre de sperme pour une concentration supérieure à 15 millions/ml en temps normal).

Des spermogrammes réguliers permettent de surveiller la spermatogenèse et le bon suivi du protocole. Efficace après trois mois, réversible et naturelle, la méthode n’est pas reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et ne peut être prescrite que par le Dr Mieusset.

Voilà trois ans qu’Erwan, à qui l’on doit l’importation de ces ateliers couture à Toulouse, a adopté le slip contraceptif, dans une version simplifiée baptisée jock-strap

« Je le porte comme n’importe quel autre sous-vêtement, simplement je vais enfiler mon boxer par-dessus pour éviter que la verge ne frotte sur le pantalon. On le sent au début puis on l’oublie très rapidement. »

Comme lui, Valentin s’est habitué à l’andro-switch au point d’oublier qu’il le porte. Basé sur le même protocole médical que le slip, cet anneau pénien en silicone est fabriqué artisanalement par la start-up Thoreme, dans la région bordelaise, et commercialisé sur internet.

Maîtriser son désir de paternité

Thomas, lui, a suivi la méthode hormonale. Développée par le Dr Jean-Claude Soufir, endocrinologue à l’hôpital Cochin de Paris, elle consiste à s’injecter 200 mg d’énanthate de testostérone une fois par semaine. Trois mois plus tard, ce dérivé de testostérone a arrêté la production de spermatozoïdes. 

Réversible, le procédé a été validé par l’OMS qui limite son utilisation à 18 mois, en l’absence d’études plus longues. Pour Thomas cependant, l’expérience s’est écourtée  : «  Ma libido avait augmenté et j’étais plus agressif, c’était le mauvais cocktail. »

L’association Garcon, qui s’est inspirée du collectif breton « Thomas Bouloù », avec ses ateliers de slips contraceptifs, espère démocratiser la technique. 

Prochaine étape : une série de conférences dans les facs. C’est là que Valentin a découvert la méthode thermique. « Ça ne me plaisait pas de voir ce que les filles subissaient, et à ce moment-là j’étais avec une fille qui ne prenait pas la pilule, ça ne m’était jamais arrivé. » De son côté, Erwan évoque une série de déboires contraceptifs : « Même si on accompagne nos partenaires, ce sont elles qui impliquent leur corps. »

Gérer sa contraception lui permet de soulager ses partenaires, mais aussi d’avoir la maîtrise sur son désir (ou non) de paternité. « Je sors d’une relation avec une femme qui avait envie qu’on fasse un enfant, mais je n’en avais pas le désir. Elle a arrêté de prendre la pilule, et moi ça m’allait bien de ne plus lui imposer de contraception alors qu’elle ne le souhaitait pas. »

Non à la virilité obligatoire

En 1977, l’association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom) faisait son apparition. Pierre Colin, l’un de ses coprésidents, était là lors de sa création.

« Il y avait beaucoup de groupes de paroles de femmes et on a vu des discussions positives en ressortir, avec une remise en question du genre, même si on n’en parlait pas en ces termes. On s’est mis à parler entre nous, de comment on a été formatés à être mâles, à endosser des rôles pour lesquels on n’était pas forcément partants », se souvient-il.

Les années 1960-1970, leur révolution sexuelle, le mouvement LGBT et l’émergence des discours féministes… Ce contexte exaltant où l’on rêve de renverser les normes est une source d’inspiration  : des groupes de parole masculins se forment pour s’ériger «  contre la virilité obligatoire »

Leur critique de la construction sociale du « mâle » les mène, entre autres, aux prémices de la contraception masculine. Ils deviennent les pionniers de ces méthodes innovantes, jouant les cobayes pour le slip thermique du Dr Mieusset, comme pour la méthode hormonale du Dr Soufir. Mais les recherches ont tourné court lorsqu’il a fallu privilégier le préservatif, unique moyen de se protéger de l’épidémie du VIH et des autres IST.

En France, ces deux méthodes concerneraient plus d’une centaine d’hommes, tandis qu’en 2018, 9 240 Français optaient pour la vasectomie, selon les chiffres de l’Assurance maladie. Cette opération chirurgicale des canaux déférents est beaucoup plus répandue chez les Anglais, qui sont 20  % à y avoir eu recours, comme les Canadiens. Une méthode «  réversible à un double titre, explique l’Ardecom. Avant l’intervention, les spermatozoïdes peuvent être conservés pour être utilisés en AMP [procréation médicale assistée, ndlr] ; la réparation chirurgicale est facile et effective dans 80 % des cas et suivie de grossesse dans 50 % des cas. » 

Bientôt une pommade contraceptive ?

Et d’autres méthodes se développent un peu partout dans le monde. En témoigne la valve à spermatozoïdes de l’entreprise allemande Bimek SLV. Activée et désactivée grâce à un interrupteur, elle permet de fermer les canaux déférents pour empêcher les spermatozoïdes de sortir. 

En Inde, le Risug, inventé il y a vingt ans, fait toujours l’objet d’essais cliniques : il s’agit d’injecter, en une seule fois, un gel qui va inhiber la fonction reproductrice des spermatozoïdes. Dérivé américain du Risug, le Vasalgel consiste aussi en une injection unique pour bloquer le passage des spermatozoïdes lors de l’éjaculation. Outre-manche, les chercheurs britanniques travaillent sur la pilule « Clean Sheets Pill », traduire « pilule draps propres ». Prise avant un rapport, elle pourrait bloquer l’éjaculation sans gêner l’orgasme, mais aussi réduire les risques de transmission du VIH. 

Toujours au Royaume-Uni, 450 hommes testent actuellement une pommade contraceptive à appliquer quotidiennement sur la peau. Et en France ? « Nous sommes les seuls à disposer de deux méthodes efficaces », se targue Pierre Colin. La thermique semble d’ailleurs remporter son petit succès, puisque le slip devrait s’exporter en Allemagne, toujours dans l’intimité des ateliers couture, tandis que l’andro-switch est vendu en Suisse, Belgique, Danemark et bientôt au Canada.

À quand la pilule pour homme ? Contraceptif préféré des couples français, celle-ci est ingérée quotidiennement par 41 % des femmes âgées de 15 à 49 ans. Début 2019, des chercheurs américains révélaient les résultats de tests sur son équivalent masculin, menés sur 40 hommes pendant 28 jours : les résultats, encourageants, nécessitaient néanmoins des études sur le long terme. Les recherches sur une pilule masculine font ainsi l’objet d’articles ponctuels mais réguliers dans la presse, alors même que la plaquette testostéronée tarde à faire son apparition. « La spermatogenèse, c’est-à-dire la fabrication de spermatozoïdes, est un processus permanent qu’il est plus difficile d’empêcher de façon réversible que le relargage d’un ovule une fois par mois », expliquait le Dr Hupertan, urologue et sexologue libéral à Paris, au Figaro Santé en 2018.

Manque de confiance

« Pourquoi imaginer une pilule alors que la plupart des femmes qui viennent à nos permanences [de l’Ardecom, ndlr] n’en veulent justement plus ? », interroge Pierre Colin. En effet, les femmes sont de plus en plus nombreuses à se détourner de la pilule à cause de ses effets secondaires  : « Migraines, dépression, baisse de libido  : difficile d’ignorer les dangers de la contraception hormonale et ses conséquences sur le corps humain et l’environnement », dénonce la journaliste Sabrina Debusquat dans son livre J’arrête la pilule (éditions Les Liens qui libèrent, 2017). 

La lenteur des avancées scientifiques s’explique également par la frilosité du secteur pharmaceutique qui y voit un marché peu fructueux, considérant que la contraception est une affaire réglée – et donc une affaire de femmes, puisque 70  % des femmes exposées à un risque de grossesse s’en remettent à des méthodes féminines d’après l’enquête Fécond 2013. Pourtant, la Male Contraception Initiative publiait en 2019 les résultats d’une étude menée aux États-Unis sur 1 500 hommes en âge de procréer. 47  % d’entre eux déclaraient être totalement prêts à utiliser une contraception masculine, tandis que 33  % affirmaient qu’ils pourraient s’y mettre. 

La contraception masculine a donc ses chances, mais devra encore se confronter à des habitudes culturelles solidement ancrées. Estelle par exemple, affirme qu’elle n’aurait « pas confiance » en son petit ami. « Ce n’est pas lui qui tombe enceinte. J’aurais l’impression de lui donner une responsabilité qu’il ne considère pas autant que moi », résume-t-elle. Maxime, le créateur de l’andro-switch, préfère parler d’une pratique de couple plutôt qu’individuelle. « L’homme et la femme peuvent prendre leur contraception en même temps, l’approche masculine n’enlève rien à la féminine. Elle vient en complément, et permet de rassurer la femme. Ça peut être un temps et un espace pour qu’elle se réapproprie son corps. »

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Pour aller plus loins 

À voir  : Le Cœur des zobs, web-série dessinée par Bobika, qui aborde différentes questions féministes. Dans l’épisode 2, l’auteur relate son expérience du slip contraceptif. Sur bobika.cool/coeur

À lire  : La Contraception masculine, de Jean-Claude Soufir et Roger Mieusset, Springer Verlag France, 2012.

À écouter  : Les bijoux de famille sur Arte radio. Le journaliste Benoît Bories raconte ses démarches pour utiliser une contraception masculine.

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