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Mer des Wadden, merveille méconnue

Pour préserver la mer des Wadden, cette terre de marée parmi l’un des derniers paysages naturels d’Europe, trois pays se sont unis. L’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark ont dégainé le stylo et signé nombre de traités pour faire barrage contre le réchauffement climatique. Attention, zone sous haute surveillance.

Le 12/03/2025 par Alessandro Gandolfi
mer des wadden
Coucher de soleil sur la mer des Wadden aux Pays-Bas. Crédit : Hilda Weges / stock.adobe.com.
Coucher de soleil sur la mer des Wadden aux Pays-Bas. Crédit : Hilda Weges / stock.adobe.com.

Le ferry accoste sur Schiermonnikoog, l’île des Moines gris littéralement – un nom qui
vient de la présence, autrefois, d’un monastère –, les touristes se pressent le long des balustrades. Si la palette des gris y est effectivement dominante, cette étendue de terre de 16 km de long et de 4 km de large n’a pourtant rien d’austère. Au contraire, on goûte sa beauté paisible et sa sérénité, ses immenses plages lunaires, sa vieille ville, son phare… et la facilité avec laquelle on peut la sillonner à vélo. Premier parc national néerlandais (fondé en 1989), Schiermonnikoog est, chaque année, parcouru par quelque 300 000 visiteurs. Mais sa particularité réside ailleurs : l’île semble se déplacer continuellement vers le sud-est.

En réalité, l’île ne bouge pas, le phénomène s’explique par l’effet combiné du vent et des courants de marée. On peut le constater sur les anciennes cartes : elle avait alors une forme différente et se trouvait deux kilomètres plus au nord. C’est d’ailleurs ce qui se produit sur la plupart des îles bordant la mer du Nord, entre l’est des Pays-Bas, l’Allemagne et le sud du Danemark. Ce sont 500 km soumis aux forces de la nature pendant des siècles, avec une mer qui avance inexorablement, transformant ce qui était autrefois de hautes dunes de sable en îles et générant une mer intérieure de plus de 10 000 km de large.

mer des wadden
Carte de la mer des Wadden. Crédit : Wikipedia.

La mer des Wadden, une “mer de boue” véritable paradis pour la biodiversité

Aujourd’hui, nous l’appelons la mer des Wadden – Waddenzee en néerlandais, Wattenmeer en allemand, ou Vadehavet en danois. Quelle que soit l’appellation, le sens reste identique : littéralement “mer de boue”. Un lieu magique où les îles disparaissent et réapparaissent et où, chaque année, plus de six millions d’oiseaux migrateurs, en route vers le sud, font une halte et s’y régalent. Un habitat unique, en constante évolution, où la coexistence de la nature, des animaux et des hommes va de soi. Les scientifiques appellent cela la “zone intertidale”, c’est-à-dire une vaste portion de terre, approximativement de Den Helder aux Pays-Bas jusqu’à Esbjerg au Danemark, soumise à la force périodique des marées.

Ce qui plaît tant aux voyageurs, c’est le privilège de fouler l’un des derniers paysages naturels d’Europe. Sur une terre en mutation où boue et marais salants alternent avec landes et digues artificielles, dunes de sable et chenaux de marée. Mais la mer des Wadden ne se résume pas à une agréable destination pour un week-end. Immense zone humide, elle est l’un des plus grands laboratoires mondiaux de durabilité, un paradis pour la biodiversité (environ 10 000 espèces de plantes et d’animaux y vivent). Ici, l’humanité a appris à coexister avec l’environnement des siècles durant. Et à gérer de manière éclairée l’un des patrimoines les plus fragiles de la planète.

Un lieu exceptionnel à “défendre et protéger à tout prix”

oies sauvages
Des oies de Bram survolant un champ près de la mer des Wadden, Danemark. Crédit : Patrick Bay Damsted / stock.adobe.com.

Car le changement climatique met sérieusement en danger cet écosystème complexe : avec la montée des eaux, diverses espèces d’oiseaux, comme les échassiers, auront moins de temps pour absorber dans les vasières la même quantité de nourriture. Plus généralement, la dynamique qui a modélisé la mer des Wadden telle que nous la connaissons depuis des milliers d’années est en péril.

“Cet endroit doit être défendu et protégé à tout prix !”, s’emballe Fabi Fuhro, jeune Allemand tatoué venu à Højer, au Danemark, avec sa petite amie Danielle. C’est probablement pour cette raison qu’en 2009, les parties allemande et néerlandaise puis, en 2014, la partie danoise, ont été inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco, reconnaissant ainsi plusieurs parcs nationaux existants. Cette protection, combinée à une série d’autres traités signés par les trois pays, empêche une série d’activités dans la région de la mer des Wadden, telle la pêche intensive, la construction d’éoliennes, l’exploration pétrolière et gazière et l’afflux excessif de touristes.

La durabilité environnementale dans ces régions a des racines anciennes – Eugenius Warming, l’un des pères de l’écologie moderne, est né sur l’île danoise de Mandø, en 1841 – et incite aujourd’hui les scientifiques locaux à poser des questions fondamentales : comment faire face à la montée des eaux ? Comment protéger les espèces indigènes? Comment réduire l’impact de la pêche et de l’agriculture ? Et aussi comment encourager un tourisme plus responsable ?

Phoques en stock

Rosanna Toma travaille au Centre de réhabilitation et de recherche sur les phoques, à Pieterburen (Pays-Bas). Ce centre d’excellence, fondé en 1971, aide et sauve les phoques blessés ou orphelins de la mer des Wadden depuis plus d’un demi-siècle. Le centre de réhabilitation est également associé à un musée où on peut, entre autres, adopter un phoque (50 euros) ou participer personnellement à la remise en liberté de ceux qui sont guéris.

“Nous n’avons pas de nombre précis de phoques hébergés, explique Marco Boshoven, l’un des responsables du centre. Car une fois le problème résolu, ils sont relâchés dans leur environnement naturel. Mais leur santé dépend de celle de la mer des Wadden : les phoques mangent des poissons, les poissons mangent des crevettes et les crevettes mangent du plancton. Si quelque chose casse dans cette chaîne, c’est tout l’écosystème qui est endommagé. Et comme l’expliquent les scientifiques, c’est le plancton lui-même qui pourrait être en danger aujourd’hui, en raison du changement climatique.

phoques
Des phoques sur une plage de la mer des Wadden. Crédit : DirkR / stock.adobe.com.

Quand la mer des Wadden façonne l’histoire des hommes

Cap sur une taverne danoise pas comme les autres, à Ribe. Magnus, grand gaillard à la longue barbe rousse, s’attable avec quatre camarades. Tous discutent avec animation de la manière de se défendre contre leurs ennemis allemands, sans se laisser distraire le moins du monde par les touristes qui, à un mètre de là, les prennent en photo. Car ici, nous sommes au Ribe Viking Center, en l’an 1 000, et ces “hommes du passé” sont en fait des comédiens payés huit heures par jour, six jours par semaine.

Ce curieux musée en plein air raconte comment vivaient les gens au Moyen Âge, le long de la mer des Wadden. “Au fil des siècles, la mer des Wadden en constante évolution a détruit des villages entiers, souligne Magnus. Aujourd’hui, les archéologues redécouvrent ces sites. Des lieux façonnés par ses interactions l’homme et les efforts épiques de ce dernier pour cultiver ces terres basses et risquées.”

Un écosystème parfait mais fragile

À quelques centaines de mètres de la mer, dans la campagne de Hjerpsted juste au sud de Ribe, Jakob Refslund Hansen, 18 ans, et son père Klaus sont en train de battre leurs champs. “Depuis des siècles, les sédiments de sable et d’argile se sont déposés sur cette bande de terre semi-marécageuse, la rendant très fertile, explique l’agriculteur. Et le sel de l’eau de mer nous a toujours aidés, en désinfectant le sol et en rendant le grain plus sain.” Autre endroit très remarquable, Sylt, en Allemagne, est une magnifique île particulièrement prisée des riches pour ses paysages, sa vie nocturne et sa gastronomie. C’est là que se trouve la station de l’Institut Alfred Wegener (AWI), un centre qui étudie depuis des années les effets du changement climatique sur la zone intertidale.

La chercheuse Petra Kadel nous montre les “mésocosmes”, à savoir vingt-quatre grands bassins qui sont une réplique en miniature de la mer des Wadden. “Ils sont remplis d’eau de mer et sont utilisés pour tester la réaction des animaux et des plantes à la variabilité de certains facteurs environnementaux, tels que la température, le pH, la salinité, mais aussi les courants et les marées”, détaille la scientifique.

Une mer du Nord qui se réchauffe deux fois plus vite

mer des wadden
“La marée déplace 15 millions de mètres cubes d’eau quatre fois par jour le long de la mer des Wadden. Il faut être très prudents : le brouillard maritime peut nous désorienter en quelques minutes et la marée monter rapidement de plus de 3 mètres”, explique le guide Peter, 20 ans. La marée régénère constamment ce sol qui fourmille de vies : moules, escargots, crabes, vers et autres nourritures de choix pour les millions d’oiseaux migrateurs. Mais cela reste un écosystème menacé à protéger ! Crédit : Dirk / stock.adobe.com.

Et comment réagissent-ils ? Christian Buschbaum, biologiste marin de l’AWI, nous répond : “Par rapport à l’océan, la mer du Nord s’est réchauffée en moyenne près de deux fois plus vite au cours des soixante dernières années, affectant la vie des poissons et des mollusques, et modifiant la répartition des prairies de posidonie (plantes à fleurs sous-marines qui constituent des puits de carbone, ndlr). Sans compter des mutations génétiques observées sur certaines formes de vie et l’afflux d’espèces invasives, comme les huîtres du Pacifique, attirées par des températures plus élevées.”

Un écosystème fragile que les guides bénévoles de la station de conservation de l’île de Sylt s’attachent à “protéger, notamment en sensibilisant les gens [lors d’observations in situ, ndlr], explique Peter, jeune guide bénévole. Il a fallu des milliers et des milliers d’an- nées à la mer des Wadden pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui : nous ne pouvons pas la perdre !”

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