Partager la publication "Mode : l’étiquette de demain sera verte ou ne sera pas"
Depuis des années, les marques écoresponsables appellent de leurs vœux plus de transparence sur l’impact réel des vêtements. Caroline Mini, directrice de l’engagement social et environnemental chez Picture Organic Clothing, marque de vêtements et accessoires outdoor, n’en fait pas mystère : “Le score environnemental, on ne l’a pas attendu pour s’y mettre. Mais aujourd’hui, il est temps que tous les acteurs du secteur de la mode s’y engagent.” Picture, mais aussi Lagoped, Petit Bateau, Aigle, Cyrillus, Soeur, 1083…
Même son de cloche du côté de Marguerite Dorangeon, cofondatrice et CEO de l’application Clear Fashion, sorte de Yuka appliqué à la mode, confirme : “C’est pour répondre à une triple urgence — écologique, sociale et sanitaire — que nous avons lancé notre outil. Il est crucial de donner aux consommateurs une information claire et actionnable.” Car c’est bien là tout l’enjeu. Pendant longtemps, les marques engagées ont agi seules, sans cadre commun. Mais les choses évoluent à grands pas dernièrement.
Écobalyse ouvre la voie à une transparence obligatoire
Le lancement de l’affichage environnemental, tel qu’envisagé par l’État, pourrait tout changer. “Ecobalyse”, le projet d’affichage environnemental sur les vêtements français, a obtenu jeudi 15 mai dernier le feu vert de la Commission européenne. En outre, ce dispositif devrait être mis en place d’ici fin 2025 par les marques volontaires, soit directement sur les étiquettes, soit sur les sites Internet des fabricants.
Un projet de loi, soutenu notamment par le collectif En Mode Climat, pourrait en effet intégrer ces notations dans un cadre réglementaire plus fort. Objectif : rendre cet affichage progressivement obligatoire, avec des bonus à la clé pour les marques les plus vertueuses.
Une promesse de clarté pour décoder la mode
Picture fait partie de ces marques qui ont choisi d’anticiper la législation en cours de mise en place. En partenariat avec Clear Fashion, elle affiche désormais une note environnementale visible sur ses produits. “Sur notre site, on voit la photo d’une veste, d’un sweat ou d’un pantalon et, juste à côté, sa note Clear Fashion. Quatre volets apparaissent : environnement, social, bien-être animal et santé. C’est simple, immédiat et parlant pour le consommateur”, explique Caroline Mini.

L’outil de Clear Fashion permet de proposer une notation sur 100 points, plus lisible que les dispositifs étatiques encore en cours d’expérimentation, et à l’échelle non fermée. “Un coût environnemental brut exprimé en micropoints, sans échelle de comparaison, est peu accessible pour le grand public. Notre score permet de juger d’un coup d’œil”, assure Marguerite Dorangeon.
Pour affirmer cela, Clear Fashion s’appuie sur une communauté active de 500 000 utilisateurs qui ont téléchargé et utilisent l’appli régulièrement. “Nous testons et adaptons continuellement nos outils pour renforcer leur compréhension et les rendre les plus intuitifs possibles.” Et d’ajouter : “Le score étatique donne une tendance. Le nôtre affine en prenant en compte les labels, les engagements spécifiques, les choix de fabrication.”

Traçabilité : miser sur l’effet boule de neige
Derrière ce score, tout un écosystème se structure. À l’instar de Picture, certaines marques, encore très peu hélas, poussent la démarche loin. “Nous incluons la traçabilité des matières premières, le recours aux matières certifiées, le coton bio, la part de recyclé. De cette manière, cela nous incite à ajuster nos collections d’année en année pour améliorer sans cesse le score de nos gammes”, explique Caroline Mini.
Aujourd’hui, une vingtaine de marques ont intégré Clear Fashion à leur communication produit, parmi lesquelles Picture fait figure de pionnière. D’autres, comme Petit Bateau, Asphalte, Faguo, Cyrillus, Soeur, Sessùn ou encore Jott suivent. “Nous sommes en discussion avec plusieurs grands groupes. Pour beaucoup, c’est prévu d’ici la fin de l’année”, confie Marguerite Dorangeon. Et d’ici 2026, une accélération est attendue. “Même s’il n’est pas encore exigé, le score est déjà un levier de valorisation”, note Caroline Mini.
Surtout, l’outil devient un vrai guide d’amélioration continue pour les marques. “On regarde produit par produit : peut-on changer de matière ? Choisir un fournisseur plus vertueux ? Modifier le lieu de production ?”, ajoute la directrice de l’engagement social et environnemental chez Picture. Ce travail fin permet de réduire, saison après saison, l’impact de la collection suivante.
Pour le grand public, une pédagogie nécessaire
Si certains comparent ce score environnemental au Nutri-Score, ce n’est pas fortuit. À terme, les actrices et acteurs du changement espèrent que l’affichage environnemental devienne une norme. “Comme aujourd’hui on évite un paquet de gâteaux étiqueté D ou E, on choisira un vêtement mieux noté. C’est le but”, affirme Marguerite Dorangeon.
La pédagogie reste une priorité. L’application Clear Fashion permet déjà aux consommateurs de scanner les étiquettes et générer un score, même si la marque ne joue pas encore le jeu. Celles qui ne donnent aucune info sur la provenance des matières, l’impact social ou sur la santé, voient leur score impacté négativement. “C’est un levier incitatif puissant. Les marques savent que, tôt ou tard, elles devront s’y mettre.”

Vers une norme européenne de la traçabilité dans la mode
Et si la France ouvrait la voie ? Le sujet est désormais discuté à Bruxelles. “Notre ambition est que le modèle français serve de référence à l’échelle européenne. En montrant que ça fonctionne, nous donnons envie aux autres pays de s’en emparer”, espère Marguerite Dorangeon.
En parallèle, les coopérations se multiplient entre marques engagées. “On échange beaucoup entre nous. Il ne s’agit pas de se copier, mais de partager nos bonnes pratiques, nos contraintes et nos progrès”, souligne Caroline Mini. Le contexte est favorable : entre crise climatique, attente citoyenne et pression réglementaire croissante, la transparence devient un atout, voire un impératif. “Ce que nous voulons, c’est que l’écologie soit un réflexe, pas une contrainte”, résume-t-elle.
Une industrie de la mode en transition
Bien sûr, tous les acteurs n’en sont pas au même stade. Certains avancent vite, d’autres attendent. “Il y a deux dimensions, explique Marguerite Dorangeon. La volonté et la capacité. Quand les deux sont réunies, ça va très vite.” Mais même les plus frileux savent que l’étau se resserre. La loi prévoit que si une marque ne publie pas ses scores, d’autres acteurs comme Clear Fashion ou UFC Que Choisir pourront le faire à sa place, en s’appuyant sur des données publiques. “C’est une manière de garantir que le consommateur ne soit pas laissé sans information”, précise-t-elle.
Le mouvement semble irréversible. “L’industrie textile ne pourra pas éternellement se cacher derrière des promesses. Avec les bons outils, les bons indicateurs, chacun pourra faire sa part”, conclut Caroline Mini.
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