Partager la publication "Daniel Cueff, Cédric Herou… Rencontre avec cinq désobéissants"
Quel est le point commun entre un professeur, un paysan, une employée du BTP ou encore un maire ? S’ils ont tous une vie et un quotidien différent, ils ont pourtant un point commun. Ils sont tous désobéissants.
Il refuse, chacun et chacune, de se soumettre à un règlement, à une loi ou à certaines normes. Pour cela, ils mènent des actions, non violentes, pour militer pour un changement systémique. C’est ce qu’on appelle la désobéissance civile. Rencontre avec cinq d’entre eux.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°34, paru en mai 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.
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En mai 2019, l’élu d’Ille-et-Vilaine publie un arrêté illégal interdisant l’usage des pesticides près des habitations.
“Lorsque le maire d’une commune qui se veut une référence écologique se rend compte que les maladies professionnelles des agriculteurs dues aux pesticides sont aussi celles des riverains, il y a un problème. Comme la discussion ne suffit pas, vous êtes dans l’obligation de prendre un arrêté de protection des populations au motif d’un État défaillant. Tout ça a fini au tribunal. Avec une procureure de la République qui me dit : “Quand bien même votre combat serait légitime, il n’est pas légal en droit. ” Quand la légitimité n’est pas au rendez-vous, l’illégalité s’impose, disait Stéphane Hessel.
Le 7 janvier dernier, le Conseil d’État a statué, interdisant aux maires de prendre des arrêtés de protection de la population concernant les pesticides. Le combat continue. L’obéissance permet de fédérer, c’est facile. Ce qui est compliqué, c’est désobéir pour le bien commun. Des élus m’ont suivi. Nous avons créé le Collectif des maires anti-pesticides. Le discours politique n’a pas de crédibilité et ceux qui agissent se retrouvent devant les tribunaux. Ça ne va pas durer longtemps.
Je suis inquiet.
Beaucoup de militants de mouvements écologiques sont venus voir “le maire qui avait désobéi”. Des jeunes non violents convaincus qu’on ne peut plus compter sur la démocratie, qu’il faut agir. Je me demande jusqu’à quand ces jeunes seront non violents. La tentation de la violence, je la perçois. Je sens une fracture de la société : c’est d’ailleurs une des raisons de ma candidature aux régionales.”
Depuis 2016, cet agriculteur vient en aide aux exilés, à la frontière franco-italienne. En juillet 2019, il crée la première communauté paysanne du mouvement Emmaüs (Emmaüs Roya). Il a publié Change ton monde (éd. Les liens qui libèrent, octobre 2020).
“Quand j’ai commencé mes actions, j’avais l’impression d’obéir à quelque chose de fondamental. Un des curseurs de la démocratie, c’est la justice. Et ce qui est juste est parfois illégal. Le droit doit s’adapter aux évolutions de la société, or les législateurs évoluent moins vite que cette dernière. Peut-être par manque de jeunes, de diversité dans les représentants politiques avec un déséquilibre entre la population et les personnes censées les représenter.
Je me suis opposé à la loi car elle n’avait pas de sens et mettait en danger des êtres humains. La désobéissance civile, ce n’est pas seulement une volonté de contestation, c’est assumer ses choix et ses idées. Et ne plus avoir peur.
Ce n’est pas juste cracher sur des lois, c’est être transparent et faire avancer le droit. Il ne faut pas prendre la désobéissance civile comme antisystème. C’est tout le contraire. Si j’avais voulu agir sans que cela se sache, j’aurais pu le faire. Si j’ai été en procès (définitivement relaxé par décision du 31 mars de la Cour de cassation), c’est que je l’ai bien voulu. Je suis non violent.
La non-violence, c’est un outil qui fonctionne. Quand il ne fonctionne plus, alors seulement la violence peut être légitime.”
En novembre 2008, cet enseignant toulousain écrit à son inspecteur d’académie qu’“en conscience, [il] refuse d’obéir et d’appliquer les dispositions préconisées par le ministre”. Dans le sillage du mouvement des “désobéisseurs pédagogiques”, 30 000 enseignants envoient la même lettre.
“La volonté de remettre la maison école en ordre de marche avec une idéologie très libérale a été un des déclencheurs du mouvement. On ne parlait pas de désobéissance civile mais de désobéissance pédagogique. Être un désobéisseur signifiait agir de manière transparente. Quels que soient les risques, retraits de salaires, sanctions disciplinaires. En tant que fonctionnaires d’État, c’était une première. Ce qui se passe depuis 2017 pourrait justifier un regain de résistance. Le métier devient très dur. Soit on résiste, soit on abdique ou démissionne. On verra à la rentrée.
Les gens n’ont pas compris qu’ils avaient un réel pouvoir. Il faut mettre en place des alternatives de façon qu’elles s’imposent d’elles-mêmes. Le “mouvement pour le climat” s’est réapproprié le concept de désobéissance civile avec des actions directes non violentes. Pour moi, la vraie désobéissance civile, c’est ce qui s’est passé avec les faucheurs volontaires : une action collective qui s’inscrit dans la durée, avec des étapes, et un objectif précis. Grâce aux faucheurs volontaires, les OGM ne sont plus disséminés dans les champs. L’État redoute beaucoup la désobéissance civile.”
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Cette jeune femme travaille dans un groupe de BTP et milite depuis janvier.
“En novembre 2019, mon meilleur ami quittait son job pour se lancer dans des projets solidaires. Ce fut le départ d’un cheminement personnel. Avec un déclic lors du ChangeNow Summit 2020 (Exposition des solutions pour la planète) au Grand Palais. Pendant le confinement, j’ai lu, écouté, regardé des docs
traitant d’économie, de philosophie, de sociologie, de géopolitique, de démocratie. J’ai beaucoup aimé le livre d’Andréas Malm (chercheur en écologie humaine) Comment saboter un pipeline [éd. La Fabrique, juin 2020, ndlr], je l’ai trouvé très inspirant. Après la réflexion, je me suis dit place à l’action !
Mon objectif avec XR est de me décharger d’un sentiment d’urgence. Ses modes opératoires, la force de son organisation, de son intelligence collective, permettent de lutter avec visibilité et conviction. Pour moi, la désobéissance civile, c’est regagner une liberté de mouvement et de pensée au regard des lois, qui nous sont imposées sans consensus. Désobéir part d’une émotion, d’un besoin d’être en cohérence avec soi mais peut préparer le terrain pour une transition de société avec un projet politique débarrassé d’ego qui replace le peuple dans son hétérogénéité sur le devant de la scène. Désobéir jusqu’où ? Le “où” se déplace selon l’urgence, l’injustice en place.”
Ce diplômé de Science Po, ancien chargé de campagne de Greenpeace France, organise des stages de formation à la désobéissance civile.
“Il existe des savoir-faire pour entrer en résistance, pour éviter le piège de la violence et celui du légalisme docile et inefficace. Dans nos stages, on apprend les techniques corporelles de résistance passive, l’art de négocier et à être clair avec soi-même. Une lutte, c’est pas juste un coup d’éclat. Il faut créer un rapport de force. Pousser l’adversaire à la faute pour gagner du crédit.
Il est urgent de changer de modèle économique. C’est pour cela que je suis de tous les combats. Il faut des désobéissants monothématiques d’une lutte et des gens comme nous pour donner un coup de main afin que ça bouge. “Nuit debout”, Zad du triangle de Gonesse, “extinction rébellion”, communautés de l’Arche, camp No Border de Calais, syndicalistes de General Electric, “gilets jaunes” : nous les avons aidés et formés à l’action directe non violente. Plus de 10 000 personnes en France. Nous essayons de convaincre Attac et Emmaüs. Je ne veux pas d’une révolution par les armes. Je veux une révolution citoyenne, pacifique. Donc je vais où il y a de l’injustice pour redonner aux gens un sentiment de puissance. Où l’étincelle peut amener le grand incendie. Il suffirait que 3 à 4 % de la population entre en dissidence pour qu’un changement profond de société soit possible.”
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