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Matériaux biosourcés : « La paille comprimée est plus dure que du béton »

Remplacer les minéraux par des végétaux pour réduire notre empreinte carbone. Tel est le principe des matériaux biosourcés, qui touchent de plus en plus de secteurs de l’économie. Et sont promis à un brillant avenir.

Le 12/04/2022 par Florence Santrot
matériaux biosourcés
Les matériaux biosourcés sont un véritable enjeu dans tous les secteurs de l'économie pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050. Photo : Shutterstock.
Les matériaux biosourcés sont un véritable enjeu dans tous les secteurs de l'économie pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050. Photo : Shutterstock.

Troquer des cailloux pour du chanvre pour faire du béton, du pétrole pour du maïs pour créer des emballage, du cuir pour de la fibre de coco pour des baskets… tel est le principe des matériaux biosourcés. Ils commencent à faire leur chemin dans notre quotidien, même si le mouvement n’en est encore qu’à ses débuts. A une semaine de la prochaine conférence-rencontre annuelle du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation, son fondateur, le professeur Marc Giget*, revient sur l’énorme potentiel des matériaux biosourcés pour viser la neutralité carbone en 2050.

Cette conférence, qui se tient le 19 avril prochain au Grand Amphi des Arts et Métiers à Paris, sera l’occasion pour des directeurs d’instituts de recherche, des directeurs innovation, R&D et développement durable des entreprises de découvrir les dernières avancées en la matière et d’échanger autour de cette question. L’occasion de faire le point sur les matériaux de demain pour un objectif « Net Zéro ».

WE DEMAIN : Qu’appelle-t-on exactement des matériaux biosourcés ?

Marc Giget : C’est une ressource renouvelable qui a été intégrée à la place de quelque chose qui ne l’est pas (le plus souvent minéral). C’est plutôt végétal – la biomasse – mais aussi parfois animal (coquilles d’oeufs, d’huîtres, plumes, os…). On redécouvre des choses qui existaient depuis longtemps, des pratiques traditionnelles. Comme des murs en terre avec de la fibre végétale. Mais, aujourd’hui, avec les capacités nouvelles, cela élargit le champ de façon quasiment exponentielle. Et ce qui est formidable, c’est que c’est aussi une économie moins gaspillante.

Cela a de multiples intérêts, autant pour les fabricants et constructeurs que pour le monde agricole, qui voit se créer de nouvelles filières capables de valoriser des éléments végétaux non utilisés. Des éléments qui étaient même considérés comme des déchets, telles que la coque de certains fruits, la fibre de coco, de bananiers, etc. De détritus mis au rebut, ils prennent de la valeur. Enfin, il faut aussi aller jusqu’aux matières premières biosourcées pour les industries, comme des solvants par exemple. À base de glycérine végétale ou autre.

Ces matériaux biosourcés concernent quels secteurs ?

Potentiellement, cela peut s’insérer dans tous les domaines de l’activité économique. Même Chanel fait des flacons biosourcés pour ses parfums. Cela bouge un peu partout mais à l’heure actuelle, cela touche surtout le luxe, les emballages… Dans la mode, on explore le potentiel des cuirs « artificiels » qui sont des substituts au cuir animal et sont tout à fait naturels. La société française, Mondin, a imaginé un cuir d’excellente qualité réalisé à partir de marc de raisin. Cela concerne aussi les matériaux industriels même si c’est moins rapide, pour remplacer les métaux, et le bâtiment d’une façon considérable.

Le grand défi, c’est les ciments et le béton pour les bâtiments, les revêtements des routes, etc. Ils pèsent pour quasiment 10 % des émissions de CO2 de la Terre. On parle de plus en plus de bétons biosourcés. Il y en a déjà quelques uns sur le marché, à base de fibres. Le problème reste encore de gérer les approvisionnements et de pouvoir en fabriquer en grande quantité pour les énormes besoins du secteur. Mais tout cela avance.

Cela doit demander beaucoup de R&D…

Oui, c’est un long chemin. Et il y a beaucoup de nouveaux matériaux qui émergent que nombre de designers et concepteurs ne connaissent pas vraiment et ne savent pas encore utiliser comme des murs en plumes, en paille… compactés, tirés, fibrés, etc. Il faut savoir que de la paille comprimée, c’est plus dur que du béton ! C’est à n’en pas douter un axe d’avenir mais cela demande beaucoup de recherche.

Les rizhomes de champignons, le mycélium, c’est quelque chose de très dense qui permet de créer un cuir remarquable. D’ailleurs, de grandes marques du luxe ont annoncé vouloir sortir du cuir animal d’ici 2035-2040. Avant, c’est le poil animal qui passait mal, maintenant, c’est le cuir animal. Même s’il ne disparaîtra pas d’un coup car il y a encore beaucoup d’animaux d’élevage dont le cuir est un sous-produit.

Il existe des centres de R&D dédiés à ces thématiques dans l’Hexagone ?

C’est en train de ses structurer. En France, nous avons deux excellents centres de recherche, peut-être les meilleurs européens. Le premier est plutôt focalisé sur la molécule, 3bcar. L’autre est plutôt au niveau des fibres et structures avec l’Institut Carnot PolyNat. Et puis il y a Solvay, le grand chimiste européen, qui vient de sortir sa première fibre industrielle biosourcée. Et c’est Solvay qui travaille sur des solvants sur le même principe. Le groupe a ouvert à Lyon un grand centre de recherche totalement dédié aux matériaux biosourcés et à la biochimie. On est encore au début de l’histoire mais les choses se mettent en place.

Sans ces matériaux biosourcés, impossible de tenir l’objectif commun de la neutralité carbone en 2050 ?

Ce type de matériaux entre clairement dans les éléments qui permettront aux entreprises d’atteindre l’objectif Net Zéro mais il n’y en n’a pas encore tant que ça qui sont commercialisés et surtout, quand ils le sont, c’est dans des volumes encore réduits. Il faut maintenant structurer toute une filière. Récupérer les fibres de chanvre, ce n’est pas comme des milliers de tonnes de minéraux que vous extrayez du sol. Il y a tout un processus de récupération auprès des agriculteurs à créer. C’est plus complexe comme organisation.

C’est le secteur du bâtiment qui est en premier lieu concerné, car ils ont besoin de tels volumes… Pour arriver à des bâtiments Net Zéro, il est clair qu’il faut des bétons biosourcés, des nouvelles briques avec des fibres et parties creuses, etc. Les centres de recherche du bâtiment et l’Ademe travaillent actuellement sur la durabilité de ces nouveaux matériaux. Avec ces matières organiques, est-ce que ça moisit, est-ce que ça pourrit ou est-ce que ça tient bien dans la durée ? On a encore du chemin à faire mais c’est très prometteur.

Et c’est la seule façon de tenir la neutralité carbone à horizon 2050. Même si, aujourd’hui, les scientifiques s’accordent pour dire que cet objectif n’est pas tenable car il y a un décalage entre un volontarisme politique affiché et les technologies pour y parvenir. Donc la R&D est un enjeu majeur. Il y a un besoin de recherche énorme. Mais, pour gagner du temps, on n’a pas d’autres solutions que de coopérer. Il a fallu 21 ans avant de pouvoir vraiment commercialiser les premières batteries électriques au lithium. Et encore, on n’a pas encore résolu le problème des batteries qui s’enflamment au contact de l’humidité…

Conférence-rencontre le 19 avril 18h-20h

>> Pour assister à l’événement : « Quels matériaux pour le Net zéro ? », cliquez ici (accès gratuit, inscription obligatoire)

*Marc Giget est chercheur, professeur, expert en innovation et membre de l’Académie des technologies. Il est président de l’European Institute for Creative Strategies and Innovation et du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation.

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