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« Bullshit job » : il va rendre votre job plus utile

Quatre-vingt mille heures ! Nous passons au minimum quatre-vingt mille heures de notre existence au boulot. C’est le calcul qu’a fait Matthieu Dardaillon, spécialiste de l’entreprenariat social, dans un livre manifeste coécrit avec Joséphine Bouchez. Près d’une décennie consacrée à un labeur plus ou moins jubilatoire et contraignant. 

Pour les baby-boomers, se réaliser dans le travail, quel qu’en soit le prix, était une aspiration générationnelle. Ce n’est plus forcément le cas pour la jeune garde qui ne retient des Trente Glorieuses productivistes que le slogan soixante-huitard « ne pas perdre sa vie à la gagner ! ». Les millennials et leurs cadets de la génération Y attendent souvent d’un job la possibilité de mener la vie qu’ils souhaitent.

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°35. Un numéro toujours disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

Avoir un job utile

80 000  heures, qu’alle- vous en faire ?, par Matthieu Dardaillon et Joséphine Bouchez, éd. Alisio, parution le 12 octobre.

Une évolution de la valeur travail qui n’empêche pas jeunes loups de start-up et vieux briscards de l’open space de cultiver un même rejet pour le « bullshit job ». Ce boulot répétitif, déshumanisé, inutile, ou du moins dont on a du mal à saisir la finalité. Un type d’emploi responsable des burn-out, bore-out, et autres souffrances dénoncées par l’anthropologue David Graeber, qui a théorisé le concept (1). Désormais conçu comme une source d’épanouissement personnel – « aimer et travailler, disait Freud, voilà ce qui rend heureux un individu » –, le boulot doit avoir du sens.

En 2017, dans son livre La Révolte des premiers de la classe (2), Jean-Laurent Cassely évoquait déjà la reconversion de nombre de cadres et professions dites intellectuelles supérieures dans des métiers manuels. Comme la boulange ou l’ébénisterie. Un phénomène qui perdure et englobe aujourd’hui les étudiants en master de droit ou de commerce, pour ne citer qu’eux. Jamais les Compagnons du devoir (association qui forme des apprentis selon l’ancienne tradition du compagnonnage) n’ont eu autant de demandes émanant de ces grosses têtes pour des formations d’artisanat d’art.

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Changer de vie

Notion subjective que chacun interprète à sa façon, l’exigence de sens, traqué comme le saint Graal, s’accompagne depuis peu d’une autre revendication. Celle de l’utilité dudit travail à la société, la planète. Ce que Matthieu Dardaillon, fondateur en 2014 de Ticket for Change, « l’école pour acteurs du changement »,  appelle un « job à impact ».

Faisant affleurer de nouvelles priorités, la crise sanitaire a exacerbé cet impératif. Selon une récente étude Kantar, un quart des Français estime que le travail doit être utile pour la société. Et 51  % des cadres jugent important d’exercer un métier qui a du sens (APEC 2019). Quitte à, s’il n’en a pas, ou plus, à claquer la porte. 

Tandis que 15  % des Français auraient décidé de changer de vie – tant privée que professionnelle –, selon le sociologue Jean Viard, un tiers de nos concitoyens cherchait, après le premier confinement, un job avec du sens (enquête Randstad, 2020). Et 40  % des jeunes cadres disent aujourd’hui penser à une reconversion porteuse de sens et d’éthique. Pour « savoir pourquoi on se lève le matin », selon Julie Chapon, cofondatrice de l’application Yuka (qui permet de connaître la composition des aliments), accompagnée un temps par Ticket for Change.

Rapport de force inversé

Pour nombre de jeunes diplômés, ceux notamment des écoles d’ingénieurs, les valeurs sociales et environnementales d’une entreprise priment désormais sur la promesse d’un plan de carrière. Aussi « brillant » soit-il. « Lors d’un recrutement, ils questionnent les entreprises sur leurs engagements concrets pour la société, l’environnement. Et ils veulent des réponses précises. Jusqu’à inverser parfois le rapport de force entre recruteur et recruté », poursuit Matthieu Dardaillon. Qui aide aussi des entreprises à faire leurs transitions sociale et écologique.

« Sortie de la crise sanitaire, plan de relance du gouvernement… il y a urgence à faire repartir l’économie, plaide le président et cofondateur de Ticket for Change. Mais autrement. Depuis sept ans que nous accompagnons individus et entrepreneurs, 120 000 personnes ont changé leur optique en intégrant cette vision des carrières à impact. 

La grande évolution, c’est la prise de conscience d’une époque, plus que d’une génération : toutes se sentent concernées par la notion de sens et d’impact sur les limites de la planète, le dérèglement climatique, mais aussi des inégalités qui s’accroissent. Les citoyens recyclent leurs déchets, se déplacent à vélo, économisent l’énergie, mais ils ressentent une dissonance entre ces engagements au quotidien et leur vie professionnelle, qui va parfois à l’encontre de leurs convictions, tant notre activité professionnelle a elle aussi de l’impact sur notre environnement écologique et social. »

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Des transitions lentes

Problème : le système éducatif ne nous encourage pas vraiment à mettre nos talents au service de la société. « L’orientation scolaire ou professionnelle évoque bien peu le bénéfice individuel et collectif d’une carrière à impact, regrette Matthieu Dardaillon. Les métiers les plus utiles à la société sont souvent les moins rémunérés, et les plus valorisés peuvent être destructeurs de la planète. »

De ce fait, la transition et la transformation des métiers, tout secteur d’activité confondu, ne se font pas assez vite. « Le développement, via la loi Pacte, des entreprises à mission (ndlr : depuis 2019, les entreprises volontaires peuvent définir la mission qu’elles se sont fixée pour le bien commun) va dans le bon sens mais l’économie sociale et solidaire ne doit pas exister uniquement à la marge. Il faut que l’ensemble de l’économie fasse sa mue. Nous sommes sur une poudrière écologique et sociale. Si on continue, notre écosystème tout entier, naturel [le projet de rapport 2022 du Giec est accablant] et économique, va exploser. »

(1) Bullshit Jobs, par David Graeber, Les liens qui libèrent, 2018.

(2) La Révolte des premiers de la classe, par Jean-Laurent Cassely, éd. Arkhê, 2017.

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