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Titiou Lecoq : « On ne peut pas exiger des femmes de viser le zéro déchet si les tâches ne sont pas partagées »

Dans « Libérées », la journaliste et écrivaine Titiou Lecoq s’intéresse à la question de la répartition des tâches ménagères entre hommes et femmes. Pour We Demain, elle revient sur le problème de l’articulation entre émancipation des femmes et préservation de l’environnement.

Le 08/11/2017 par Julie Jeunejean
Le paiement par Bitcoin dans les magasins pourrait bientà´t se démocratiser en France. (Crédit : Pixabay)
Le paiement par Bitcoin dans les magasins pourrait bientà´t se démocratiser en France. (Crédit : Pixabay)

Dans son essai Libérées,  sorti début octobre aux éditions Fayard, Titiou Lecoq, journaliste indépendante, romancière et créatrice du blog girls & geeks, évoque la répartition domestique inégale entre les femmes et les hommes.
 
Aujourd’hui, les hommes consacrent par jour 1h11 et les femmes 2h36 au ménage — en dehors du jardinage, du soin apporté aux enfants, du bricolage ou encore des animaux —, selon « l’enquête emploi du temps » menée par l’INSEE en 2010.

À une époque où il devient impératif de privilégier des gestes ménagers respectueux de l’environnement, qui nécessitent plus de temps, comment préserver la planète sans pour autant accroitre les inégalités homme-femme ?  Pour Titiou Lecoq, il s’agit d’inventer une nouvelle répartition des tâches, qui permettra de généraliser des gestes durables.

We Demain : Dans votre livre, vous parlez du problème de l’articulation entre préservation de la planète et émancipation des femmes.

J’y explique qu’on ne peut pas exiger des femmes de viser le zéro déchet, de cuisiner maison, de faire tourner moins de machines, d’utiliser des couches lavables, de ne pas avoir de sèche-linge et de bosser en même temps, si les tâches ne sont pas partagées.
 
On met déjà sur elles une énorme pression.  Elles ne peuvent pas faire tout, toutes seules, c’est intenable. La nécessité de modifier profondément nos modes de vie pour être plus éco-responsables doit passer par une réorganisation des tâches dans les couples.

Sur le terrain, il semble que cette réorganisation des tâches n’ait pas encore eu lieu. Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France, m’expliquait qu’il y a une surreprésentation des femmes lorsque La Maison du Zéro Déchet organise des ateliers liés à la vie quotidienne et à l’entretien de la maison.

En ce moment, je vois beaucoup de reportages sur les produits ménagers faits maison : comment fabriquer son liquide vaisselle, sa lessive etc. Et ce sont effectivement des femmes qui sont avant tout présentes lors de ces ateliers. Comme le montrent les statistiques de l’Insee, ce sont elles qui s’occupent encore majoritairement de la maison et elles considèrent qu’elles doivent en avoir la charge.
 
Lorsque l’on s’occupe de la maison, c’est avant pour s’occuper du bien-être des gens avec qui l’on vit. Il faut donc aussi s’occuper du bien-être de la planète. C’est aussi une question de care, de soin. Il faut faire en sorte de ne pas laisser une planète dégueulasse à ses enfants.

D’où cette volonté de fabriquer des produits sans perturbateurs endocriniens, sans danger pour la santé et plus respectueux pour l’environnement…

Il faudrait voir plus d’hommes assister à ces ateliers. Ce qui est frappant c’est que pendant longtemps, les hommes ne « participaient » pas aux tâches ménagères parce qu’ils ne savaient pas faire. Les filles avaient des cours d’éducation ménagère mais pas les garçons. Eux, apprenaient le bricolage.

Si on revient à des techniques ménagères traditionnelles, , il faut faire attention à ne pas reproduire le modèle de société du 19ème siècle. Je serais partante pour qu’on remette des cours d’éducation ménagère obligatoires dans les écoles pour apprendre à fabriquer, par exemple, de la lessive mais pour les garçons et les filles.

Mais dire qu’opter pour un mode de vie plus écologique est compliqué, n’est-ce pas finalement une idée reçue ?

Tenir une maison avec des enfants en travaillant, c’est difficile. C’est même épuisant. Alors y ajouter des impératifs écologiques, c’est mathématiquement encore plus fatiguant.
 
Prenons l’exemple des courses. C’est une tâche domestique qui prend du temps. Mais dans l’idéal il faudrait en plus prendre des bocaux en verre, lourds à porter, aller dans un magasin spécialisé, pas toujours le plus proche du domicile, acheter un maximum de produits en vrac etc. Cela prend plus de temps et plus d’énergie.

Aujourd’hui, certaines d’entre-elles se sentent même coupables de ne pas être à la hauteur de ces nouvelles normes domestiques…

Oui. Même lorsque l’on ne s’en sort pas trop mal, reste la liste de toutes les choses que l’on n’a pas réussi à faire. Moi, ça m’arrive en permanence, pour absolument tout. Beaucoup de femmes voient tout ce qu’elles ne font pas bien et en plus avec la culpabilisation de se dire qu’elles sont en train d’assassiner la planète. C’est terrible !

Selon l’Institut national d’études démographiques (INED), la naissance d’un enfant « accentue le déséquilibre du partage des tâches entre conjoints »

Depuis que le livre est sorti, je reçois énormément de messages de lectrices qui me remercient. Elles sont au bord de la dépression nerveuse. En général, elles ont des enfants en bas âge et n’y arrivent pas.

Elles se sentent jugées et se jugent en permanence. Parce qu’elles n’utilisent pas de couches lavables. Parce qu’elles se sont énervées contre leur enfant et qu’il ne faut surtout pas crier sur un enfant… L’éducation bienveillante l’est pour les enfants, mais pas nécessairement pour les mères qui m’ont contactée.

L’adoption de nouvelles habitudes de consommation plus respectueuses de l’environnement risque-elle de renforcer l’inégale répartition des tâches domestiques ?

En France, la répartition des tâches domestiques est grosso modo d’un tiers pour les hommes, deux tiers pour les femmes. Pour un couple qui passera, par exemple, à une alimentation zéro déchet, dans le meilleur des cas la situation ne changera pas, au pire cela renforcera les inégalités.
 
Dans un rapport publié en 2012, l’Insee rappelle que lorsqu’une tâche ménagère est considérée comme rebutante par les deux membres d’un couple hétérosexuel, c’est la femme qui va s’en charger.

Ainsi, 66 % des femmes et seulement 14 % des hommes participent à l’activité repassage considérée comme la plus déplaisante par les deux sexes. En gros, plus c’est chiant, plus ce sont les femmes qui s’en occupent. Donc si le passage à un mode de vie plus écologique implique une corvée supplémentaire, les statistiques tendraient à nous montrer que ce sont les femmes qui s’en occuperont.

Du coup, quelle solution proposez-vous pour ne pas renoncer à l’émancipation des femmes et à la préservation de la planète?

La première chose à faire, c’est de prendre conscience de la répartition des tâches ménagères dans son couple. Il ne faut pas se baser sur des impressions mais noter et quantifier ce que chacun fait dans la maison pendant une semaine, deux semaines voire un mois. Et puis, il faut se mettre autour d’une table et en discuter. Vivre ensemble, c’est ça.
 
L’idée, ce n’est pas forcément pour les hommes de s’aligner sur les exigences ménagères des femmes — qui sont en général plus élevées —, mais plutôt d’inventer une norme commune.

À partir du moment, où l’on est autour d’une table et qu’on discute, on peut également se demander ce que l’on veut changer dans son mode de vie pour être plus respectueux de la planète, tout en se répartissant les tâches de manière juste.

Et au niveau de la société, que faut-il mettre en place ?
 
Il faut une modification des structures de la société, sinon cela devient un piège pour les femmes. Il faut que l’on repense à notre rapport au travail, au temps que l’on consacre au travail extérieur, à la famille, à la maison… Bref,  à l’articulation entre vie privée et vie professionnelle pour les hommes et les femmes. Sans quoi, c’est impossible.

En mettant en place, par exemple, « un congé paternité digne de ce nom « , comme le demande la pétition mise en place par le magazine Causette ?
 
C’est un premier pas essentiel. En réalité, c’est une mesure qui aurait dû déjà être prise depuis bien longtemps. Elle permet à la fois de rééquilibrer les rapports au travail en forçant le milieu professionnel à respecter les besoins familiaux des pères, et d’équilibrer les tâches à la maison.

Ce qui se met en place pendant le congé maternité risque de durer lorsque la mère reprend le travail. Elle continuera à faire tout ce qu’elle a pris l’habitude de prendre en charge pendant son congé. Il est évident que l’arrivée d’un enfant bouleverse l’organisation du couple. Si le père est présent à la maison avec un vrai congé paternité, le couple peut se réorganiser, trouver son équilibre.
 

Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale
Titiou Lecoq
Éditions Fayard
17 €
Date de parution : 4 octobre 2017
 

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