L’immense majorité de nos concitoyens (80 %) est convaincue de la réalité du changement climatique et de ses causes anthropiques. Selon les dernières enquêtes d’opinion, 71 % des Français ressentent le dérèglement du climat dans leur quotidien, avec un pourcentage plus élevé chez les moins de 35 ans (77 %). En Normandie où le climat est plus frais, 52 % des habitants se sentent aujourd’hui impactés.
Pour autant, cette conscience collective ne se traduit pas par l’adoption d’un comportement durable : l’empreinte carbone annuelle d’un Français oscille entre 8,2 et 9,9 tonnes – nous sommes loin des 2 tonnes préconisées par les accords de Paris signés en 2015 ! Ce décalage entre convictions et conduites, entre perception des risques individuels et menace sociétale globale, ne lasse pas d’interroger les chercheurs en psychologie sociale et environnementale. Ils y identifient un green gap, un fossé vert défendu par les “dragons de l’inaction” qui en empêchent le franchissement.
À chacun son risque
Chez l’être humain, un même risque est perçu différemment selon la combinaison de deux facteurs : la probabilité de survenue d’un danger et la gravité de ses conséquences. Le risque est la construction intellectuelle d’une menace réelle. Cécile Sénémeaud, directrice du Laboratoire de psychologie de Caen-Normandie, précise : “La nature de cette activité cognitive est indissociable de la culture dans laquelle elle s’inscrit. Dès lors, toute une série de facteurs psychologiques, émotionnels, motivationnels et sociaux vont être mobilisés dans la manière dont nous imaginons les risques.” Un scientifique apprécie le risque avec des modélisations, un élu à l’aune de la gestion politique qu’il nécessite, un citoyen avec ce que les siens et lui-même encourent.
Ces différences de perception du risque accroissent la vulnérabilité de la société et compliquent la gestion de la transition écologique. Le changement climatique multiplie les difficultés de perception du risque. Le réchauffement est inévitable, sa dynamique chaotique est complexe, sa temporalité difficile à appréhender entre violents événements météorologiques immédiats et élévation quasi invisible de la température moyenne et du niveau de la mer. Difficile pour le quidam de faire la part des risques pour la société et pour lui-même.
“En Normandie où le climat est plus frais, 52 % des habitants se sentent aujourd’hui impactés par le dérèglement dans leur quotidien.”
Conduite du changement
Sur cette variété de ressentis, les chercheurs identifient 29 obstacles psychologiques au passage à l’action climatique, dont les combinaisons font surgir cinq dragons de l’inaction du marais des émotions : le sentiment que face à l’ampleur du chaos, l’action individuelle est inutile ; la focalisation sur les bénéfices à court terme et la force des habitudes ; la crainte du regard des autres, d’être désapprouvé par son entourage en changeant de mode de vie ; le déficit de connaissance et de savoir-faire ; le faux sentiment du devoir accompli via quelques petits gestes. Sauter le fossé vert prend alors l’allure d’une course d’obstacles.
Sans perdre de vue la responsabilité des institutions politiques et des acteurs économiques dans la conduite du changement de mode de vie et, plus largement, dans l’atténuation du changement climatique, les laboratoires normands de psychologie diagnostiquent les obstacles ressentis en fonction des domaines et contextes, ce qui permet de construire des accompagnements ciblés de la transition.
Combler le fossé
Dans leur rapport “Les Normand-es et le changement climatique : apports psychologiques”, Cécile Sénémeaud, Olivier Codou et Boris Vallée plaident pour développer une connaissance locale des conséquences liées au changement climatique. Un registre qui fait appel au sentiment d’attachement à un lieu, voire à la dimension identitaire régionale. Pour preuve, leur expérimentation où ils ont présenté à un groupe d’étudiants ces conséquences du changement clima
tique à Alençon en 2030 et à un autre groupe la même problématique à La Réunion en 2100. Les résultats ont montré que la présentation d’un événement, situé proche par rapport à soi (Alençon, 2030), réduit la distance perçue face au changement climatique, ce qui conduit ensuite à une plus grande perception du risque, à une réponse émotionnelle plus forte et à une intention d’atténuation et d’adaptation accrue. Ils soulignent que “le recours à la loi et aux sanctions administratives se révèle, si elles sont mises en place toutes seules, peu efficaces. En revanche, les groupes de soutien (développement de l’identité sociale, du lien social et de l’interdépendance) et, plus encore, l’allocation de ressources matérielles ou logistiques pour faciliter la réalisation d’un comportement, s’avèrent être les stratégies les plus optimales”. En langage ordinaire, il faut que la transition fasse envie, soit permise par le contexte immédiat et valorisée par le groupe. Tout simplement humain.