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Insectes, légumineuses… la science au chevet de notre révolution alimentaire

La pandémie de Covid-19 a revisité les modes de consommation. Le réchauffement climatique nous pousse à reconsidérer nos pratiques agricoles. La guerre en Ukraine bouleverse l’approvisionnement mondial en matières premières… La période est marquée par une succession d’événements qui nous invitent à repenser les systèmes alimentaires actuels. Le but est de les rendre plus durables. Mais aussi de revoir la production des matières premières à la consommation des aliments. Mais les défis scientifiques à relever pour y parvenir sont nombreux et variés. En France, de nouveaux modes de production sont en cours de déploiement, à l’image de l’agriculture biologique, ou à l’étude tels que l’agroécologie.

En parallèle, le réchauffement climatique pousse les agriculteurs à implanter de nouvelles cultures – par exemple des vignes en Bretagne. Ou à opter pour des variétés plus résistantes permettant de lutter contre les stress abiotiques (sécheresse, températures extrêmes…) et biotiques (ravageurs, maladies…). Tout en limitant l’usage des pesticides, tels que la septoriose du blé tendre. Voire à développer des cultures spécifiques, comme le soja pour l’alimentation humaine ou le pois, destiné au bétail.

De nouvelles matières premières agricoles

Champ de petits pois. Les légumineuses sont appelées à prendre une place nouvelle dans les systèmes alimentaires de demain. Tuchodi/Flickr

Ces pratiques, récentes et toujours en évolution, induisent une variabilité des matières premières. Cela est dû aux variations des conditions de culture (le climat, le sol, etc.), de la conduite des cultures et au choix des variétés génétiques animales et végétales.

Cela implique notamment de déterminer le profil nutritionnel de ces nouvelles matières premières. D’identifier leur allergénicité et l’évolution de leurs composés du champ à l’assiette. Par exemple, les légumineuses sont une belle source de protéines. Mais leur teneur en méthionine, l’un des neuf acides aminés essentiels, est insuffisante.

Des procédés industriels à adapter

Un autre aspect découle du premier : l’industrie de transformation est aujourd’hui en grande partie adaptée aux matières premières produites par l’agriculture conventionnelle.

Pour transformer les nouvelles matières premières en aliment, il s’agira de choisir le procédé alimentaire et son mode de conduite (par exemple la température, le taux de fractionnement) pour qu’il soit au moins aussi robuste et capable d’utiliser une matière première plus diverse, variable et hétérogène. Ainsi, une conjugaison appropriée de la variabilité génétique du fruit, comme la pomme, et des conditions de cuisson (température, temps, pression et vitesse de broyage) permet d’obtenir des compotes aux textures contrastées.

L’acquisition de données par des capteurs et la conception de modèles mathématiques et de simulation comme outil d’aide à la décision pour une adaptation mutuelle entre procédé et matière première sera indispensable pour exploiter et maîtriser la variabilité des matières premières.

La transition alimentaire, testée pendant la crise du Covid, pose la question des conditions à satisfaire pour améliorer la durabilité des circuits courts, de la production de proximité voire de la transformation à domicile. Proposer des produits locaux implique de disposer de procédés efficients à petite échelle, la difficulté étant de déterminer quelles échelles sont pertinentes. Et aussi, de comprendre les conditions d’acceptation d’un choix plus restreint d’aliments par les consommateurs.

Développer des filières pour les matières premières de rupture

Dans le cas des insectes, des algues ou des légumineuses, des filières entières sont à inventer, avec l’introduction de technologies adaptées dont il faudra évaluer les bénéfices et les risques.

Des recherches se développent afin de détecter et atténuer les dangers chimiques issus de contaminants de l’environnement et/ou résultant de la transformation, de la formulation et de la préparation d’aliments. Ce sont notamment les problèmes physiologiques tels que les allergies alimentaires et les déficits nutritionnels. Les nouveaux ingrédients alimentaires, comme les protéines d’origine végétale, microbienne ou d’insectes, suscitent une vigilance particulière car les études sur ces produits sont récentes et souvent incomplètes.

Quelles sont les conséquences des procédés de transformation sur la survenue, l’évolution ou la disparition des risques associés à ces ingrédients ? Le défi est ici de déterminer si le procédé de transformation est un facteur aggravant dans la génération de nouvelles sources de risques comme la formation de produits néoformés ou s’il constitue au contraire un levier d’atténuation des dangers.

Mieux utiliser les productions agricoles

L’efficience des systèmes alimentaires est très affectée par les pertes, c’est-à-dire les matières premières destinées à l’alimentation humaine qui en sont involontairement soustraites, de la production à la transformation, y compris transport et stockage. Cependant, cette définition laisse de nombreuses questions en suspens : quid des parties non comestibles (noyaux, os…), des co-produits issus de la transformation (son, amandons, marcs…) ?

Une stratégie largement étudiée consiste à utiliser ces co-produits dans une valorisation en cascade afin d’écouler une plus grande part de la matière initiale. Les recherches actuelles portent sur les propriétés et fonctions de ces co-produits animaux ou végétaux, ainsi que sur les procédés d’extraction et les voies de valorisation.

En France, les pertes et gaspillages alimentaires représentent 10 millions de tonnes de produits par an, soit une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros. Crédit : Evan Lorne / Shutterstock.

Diminuer le gaspillage et son coût énergétique

Le gaspillage, parce qu’il implique des aliments au stade de leur mise en vente et consommation, est à la fois une perte de denrées et de tout ce qui a été mis en œuvre (énergie, eau, travail…) pour les amener au consommateur.

Plusieurs pistes existent pour le limiter :

  • Les procédés de stabilisation des aliments périssables tels que le lait, les œufs, la viande, les fruits et les légumes. Par exemple, l’élaboration de produits fermentés (yaourts, fromages), de poudres alimentaires (lait en poudre) et d’aliments stabilisés par la chaleur (lait UHT) facilite la conservation. D’où une praticité augmentée pour les distributeurs et les consommateurs par rapport à l’aliment initial.
  • Le respect de la chaîne du froid lors de la transformation, de la mise en vente et chez le consommateur est également essentiel. Des recherches sont menées afin de concevoir des systèmes frigorifiques plus performants et ainsi diminuer les gaspillages alimentaires et le coût énergétique associé.
  • Les emballages sont en pleine (r)évolution, notamment à cause de la prise en compte des dangers liés aux plastiques tout au long de la chaîne alimentaire tels que la production de nanoplastiques, particules de plastique plus petites qu’un micromètre dont la nocivité interroge de plus en plus. Les matériaux biosourcés recyclables ou réutilisables et possédant les différentes fonctionnalités requises pour emballer du frais sont particulièrement prometteurs.

Répondre aux attentes des consommateurs

Concevoir d’autres aliments implique également de considérer les points de vue des consommateurs, qui exigent des produits appétissants, sûrs et sains. Charge aux scientifiques d’identifier les déterminants des qualités sensorielles des aliments, notamment ceux issus des nouvelles matières premières, et de s’enquérir de leur perception par le consommateur.

Connaître les mécanismes physico-chimiques responsables de la texturation et de la stabilité des aliments servira aussi à renforcer leur qualité sanitaire, nutritionnelle et leur durabilité en diminuant par exemple la teneur en ingrédients nocifs pour la santé comme le sel ou en remplaçant les protéines animales par des végétales.

Pour répondre au concept émergent d’aliments durables et l’aligner sur les exigences en matière de santé, il est indispensable de mieux comprendre ce que deviennent les aliments dans le tube digestif. De la bouche au colon, les modèles de digestion sont utiles à la conception de nouveaux produits aptes à combler les besoins nutritionnels spécifiques, notamment aux différents âges de la vie.

Accélérer la production de connaissances scientifiques et de technologies permettra de soutenir le développement durable d’aliments satisfaisant tout un chacun dans les années à venir.

À propos des autrices : Catherine Renard. Cheffe adjointe du Département TRANSFORM Aliments, produits biosourcés et déchets, directrice du Carnot Qualiment, Inrae.
Rachel Boutrou. Chargée de recherche en science des aliments, Inrae.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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