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Limites planétaires : les 9 piliers de la sagesse

Le 05/06/2025 par Gilles Luneau
limites planétaires
Comment évaluer l’impact des activités humaines sur la planète ? Jusqu’à quel point la nature peut-elle supporter les pollutions ? Les limites planétaires sont des bons indicateurs pour prendre la mesure de notre impact. Crédit : DR.
Comment évaluer l’impact des activités humaines sur la planète ? Jusqu’à quel point la nature peut-elle supporter les pollutions ? Les limites planétaires sont des bons indicateurs pour prendre la mesure de notre impact. Crédit : DR.

Le triple principe qui suit est d’une lumineuse évidence : on ne peut pas puiser dans les ressources naturelles plus vite qu’elles se renouvellent, comme on ne peut pas prélever éternellement dans les ressources non renouvelables, ni larguer indéfiniment nos déchets dans la nature. Il arrive un moment où les bonnes choses s’épuisent et où les poisons prennent le dessus jusqu’à rendre la vie impossible. Survient alors le temps de la rupture des équilibres complexes entre les réalités inertes et vivantes qui composent la terre, la mer et l’air.

Jusqu’où les sociétés humaines peuvent-elles aller dans la consommation et la pollution de leur environnement sans compromettre leur chance de vivre agréablement ? C’est la question que s’est posée une équipe internationale de 26 scientifiques. Leurs résultats, publiés en 2009 dans la revue Nature, sont régulièrement mis à jour.

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Les limites planétaires et leur dépassement en 2023. Le cercle en pointillés représente l’estimation des limites de durabilité et les zones colorées l’estimation de leur état fin 2023, la couleur orange représentant un dépassement. Crédit : Stockholm Resilience Center.

Identifier les limites planétaires

Rien de mieux que de savoir où s’arrête la route et où commence le précipice. Ces savants, réunis autour du chimiste et climatologue américano-australien Will Steffen et de l’agronome suédois Johan Rockström, ont défini les neuf processus bio-géo-physico-chimiques qui altèrent la stabilité du système terrestre : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’introduction d’entités nouvelles dans l’environnement (molécules de synthèse, métaux lourds, nanoparticules, éléments radioactifs, perturbateurs endocriniens…) et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.

Neuf “frontières” pour lesquelles les savants ont identifié les niveaux de perturbations anthropiques en dessous desquels le risque de déstabilisation de ces processus est faible. Ces valeurs bio-géo-physico-chimiques dessinent un “espace de fonctionnement sûr” pour le développement de la société mondiale.

Entre plancher social et plafond environnemental

Lors de la première étude, en 2009, seuls trois seuils avaient été franchis : climat, biodiversité, cycle de l’azote. En 2015, le cycle du phosphore atteint la côte d’alerte. En 2023, six des neuf limites sont dans le rouge. La couche d’ozone se porte bien, l’acidification des océans approche de sa frontière et la concentration des aérosols reste une inconnue faute de données fiables. Mais les limites de la planète ne donnent pas les clefs du comment y vivre sans les affecter, comment développer la société en préservant la résilience du système terrestre.

La réponse est politique. C’est-à-dire qu’elle demande de prendre les décisions qui accorderont les modes de vie avec les constats scientifiques. Faire la pédagogie de la vérité des limites. On n’habite pas la maison Terre sans règles. Le virage est négociable à condition de définir démocratiquement les voies et modes de vie qui laissent s’épanouir le lien social, l’équité, la culture, la solidarité. Là est le cœur de la transition écologique, entre plancher social et plafond environnemental.

Climat

Le réchauffement climatique est l’expression du dépassement de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et de l’augmentation du forçage radiatif (plus d’énergie reçue du Soleil que d’énergie renvoyée par la Terre). En 1750, avant l’ère industrielle, la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) était de 278 parties par million (ppm). Pour conserver des conditions climatiques compatibles avec une vie saine et confortable, il ne faut pas dépasser 350 ppm. En 2023, cette concentration atteignait 420 ppm.

Depuis 1850, les activités humaines ont émis 2 590 gigatonnes (Gt) de CO2. En regard de la durée de vie des gaz à effet de serre et de l’objectif de stabilisation du réchauffement à 1,5 °C (avec une probabilité de 50 %), il faudrait ne pas émettre plus de 233,4 Gt de CO2, soit l’équivalent de cinq ans et demi d’émissions de CO2 au rythme de 2024. Autant dire impossible. Si on cible +2 °C d’élévation de la température moyenne, le budget carbone restant est de l’ordre de 1 108 Gt, soit 26 ans d’émissions au rythme actuel. Pour l’heure, on ne voit guère de chemin vertueux menant au “zéro émission nette” en 2050. La Terre ne fait pas crédit à l’Humanité.

Biodiversité

Le rôle de la biodiversité – entendue comme la diversité et la variabilité des formes de vie sur Terre et les relations qu’elles entretiennent entre elles et avec leur environnement – est aussi important que celui du climat et de l’eau dans la stabilité des conditions de vie sur Terre. De plus, les interactions entre climat, biodiversité et eau sont telles qu’altérer l’un a immédiatement des conséquences sur l’autre.

La santé de la biodiversité se mesure au taux d’extinction des espèces. La normalité dudit taux d’extinction est d’une espèce pour un million par an, sa limite est de dix espèces pour un million par an. Le taux actuel oscille entre cent et mille espèces sur un million par an. Cette hécatombe a des répercussions sur la vie des écosystèmes, sur le climat, sur le cycle de l’eau et sur les ressources naturelles indispensables à l’humanité.

Eau douce

L’eau obéit à un cycle planétaire continu dont la dynamique repose sur de multiples facteurs terrestres, océaniques et atmosphériques. 97 % de l’eau de la planète est salée, et seulement 1 % des 3 % du stock mondial d’eau douce est utilisable, soit 4 000 km3. La science distingue l’eau bleue, qui ruisselle, de l’eau verte qui imprègne les sols et est la condition indispensable à la vie des plantes, sauvages ou cultivées.

L’humanité consomme 2 600 km3 d’eau bleue par an, donc dans le périmètre de sa capacité de renouvellement. En revanche, selon l’étude A planetary boundary for green water publiée le 26 avril 2022 dans Nature, la limite de l’eau verte est dépassée : en cause, le climat, la déforestation et les interactions entre sol, biosphère et climat.

Occupation des sols

L’une des neuf limites planétaires est la surface disponible pour les activités humaines. Les changements d’occupation et d’usage des sols interagissent avec le climat. Par exemple, la déforestation libère du carbone, les sols devenus nus captent plus de rayonnement solaire, entraînant logiquement un accroissement du réchauffement, une diminution de la captation d’eau, et donc une perturbation du cycle de l’eau et une augmentation de l’érosion.

Le seuil mondial à ne pas dépasser est de 15 % de terres agricoles et il faut préserver 75 % de la surface couverte de forêts avant intervention humaine. Or depuis 2015, seules 62 % de ces terres jadis forestières sont encore boisées, la limite est donc dépassée. Déforestation, labourage des prairies permanentes, drainage et labourage des zones humides, arrachage des haies, réduisent la capacité de la Terre à servir de puits de carbone, à réguler les débits d’eau douce, à préserver les écosystèmes.

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