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Cyril Dion et Laure Noualhat: « Avec Après Demain, nous racontons une histoire différente de l’avenir »

Le 11/12/2018 par Jean-Jacques Valette

We Demain : Cyril Dion, vous êtes le co-réalisateur de Demain, un documentaire qui a initié en 2015 un véritable phénomène de société, avec un César et plus d’un million d’entrées. Laure Noualhat, vous avez été journaliste écologie chez Libération pendant 15 ans et vous êtes la créatrice de la série satirique Bridget Kyoto. Trois ans après la sortie de Demain, vous vous êtes associés pour réaliser Après Demain, un film diffusé sur France 2 le 11 décembre, puis en replay. Pourquoi ce documentaire ? De quoi parle-t-il ?

Cyril Dion : À l’origine, c’est une commande à l’occasion de la COP24. Le but était de revenir sur les initiatives présentées dans Demain et de voir celles qui avaient marché ou même essaimé. Ce que Demain a participé à faire, c’est provoquer plein d’actions individuelles. Des personnes ont changé de métier, des entreprises comme la Poste se sont mises à l’agriculture urbaine… Et même des villes telle Liège ont décidé de tendre vers l’autosuffisance avec l’établissement d’une ceinture maraîchère. J’ai proposé à Laure de me rejoindre sur cette nouvelle aventure afin d’avoir son recul critique et de ne pas sombrer dans le nombrilisme.

Laure Noualhat : Après Demain, c’est un dialogue permanent entre nous deux. Nous revenons sur des lieux où des gens expérimentent des alternatives et en découvrons de nouvelles. J’apporte mon point de vue sceptique quand Cyril est toujours enthousiaste sur leur potentiel. Ma question est la suivante : un million de Français ont vu Demain. Mais qu’est ce que ça a changé ? Qu’est ce qui est resté ? Quand on est huit milliards sur Terre, quel est l’impact de deux plants de tomate sur la place d’un village ou d’une poignée d’éoliennes dans un champ d’Île-et-Vilaine ? J’ai envie d’y croire mais il faudrait beaucoup plus d’actions de ce type pour avoir un véritable impact. Toute la question est de savoir si ces pratiques se généraliseront, et en combien de temps.

Pourquoi Après Demain est-il diffusé à la télé et non en salles, et de surcroît en deuxième partie de soirée ?

Laure Noualhat : Les voies de France Télévisions sont impénétrables. C’est à mon avis une erreur stratégique majeure. Il devait y avoir une soirée complète, avec Demain suivi d’Après Demain. Désormais l’un est diffusé le dimanche soir et l’autre un mardi soir en deuxième partie de soirée. C’est absolument incompréhensible pour nous. Mais une centaine de projections citoyennes ont déjà été organisées. Une centaine d’avant premières pour un film qui passe à la télé c’est hallucinant. !

Cyril Dion : C’est un film fait avec beaucoup moins de moyens. Demain a nécessité 1,3 million d’euros et neuf mois de montage, alors qu’on ne disposait que de 220 000 euros et huit semaines pour Après Demain ! C’est un film qui n’a pas la même ambition. Mais je pense qu’on est déjà pas loin des 40 à 50 000 spectateurs. C’est rigolo car pas mal de fictions au cinéma ne font même pas ces chiffres-là. Après Demain fera sa vie grâce à des associations. Mais on espère qu’à la télévision il y aura du monde pour le voir. Au moins un million de personnes !

Cyril Dion, vous avez dit récemment « il faudrait être complètement demeuré pour être optimiste « . Or, vos films sont une bouffée d’optimisme. Comment justifiez-vous cette contradiction ? Pensez-vous que nous pouvons éviter l’effondrement global ?

Cyril Dion : Ce n’est pas une contradiction. Je ne fais pas mes films pour qu’ils soient optimistes mais constructifs. Pour que ça nous donne de l’énergie. Quand on voit la gravité de la situation, il faudrait être un peu con pour se dire « Oh, ça va aller. Tout va bien se passer ». En revanche, passer simplement son temps à diffuser des messages qui nous écrasent, nous angoissent, ce n’est pas efficace non plus.

« Tout va s’effondrer », c’est un vocable qui ne veut rien dire. On est déjà dans une forme d’effondrement dans des domaines comme la biodiversité. Quand on sait que 60 % des animaux vertébrés ont disparu de la planète en 40 ans, c’est un effondrement. Est ce que notre économie et ses réseaux logistiques vont s’effondrer ? Est ce que ça va donner un monde apocalyptique à la Mad Max ? Je pense que ça sera plus compliqué. Mais on va vers des chocs oui, je pense qu’on n’y échappera pas. La question c’est comment peut-on les amortir, et peut-être tenter de vivre mieux ?

Laure Noualhat : Moi, j’en ai marre qu’on me demande des discours positifs. C’est comme demander à quelqu’un qui a un cancer en phase terminale de sourire à la vie ! Il y a quinze ans, on me disait que c’était trop anxiogène de parler d’écologie et que ça faisait baisser les ventes. Après, il fallait mettre en avant uniquement des initiatives positives…

Mais l’écologie c’est le royaume des mauvaises nouvelles ! On voit bien que tout s’effondre. Je ne raconte pas ça car ça me fait plaisir. J’ai l’impression que quoi qu’on fasse, il est très dur de changer. C’est comme si on était dans le déni collectif. Au rythme actuel, on est parti pour une augmentation de 4°C d’ici la fin du siècle, avec des boucles de rétroaction qui pourraient mener à un emballement du réchauffement climatique et notre disparition. C’est ça le réel et je pense qu’il est criminel de ne pas passer des informations qui engagent la survie de l’humanité.

Dans Après Demain, vous insistez sur l’importance des récits collectifs, comment ils peuvent créer des effets d’entrainement. Le film lui-même est une mise en abîme qui nous encourage à passer à l’action. Pensez-vous qu’une belle histoire peut changer le monde ?

Laure Noualhat : Il faut rendre désirable la sobriété. C’est génial ce que dit dans le film Rob Hopkins, le créateur du mouvement des villes en transition. Quand vous rejoignez ce réseau, vous rencontrez des gens intéressants, vous payez moins cher votre énergie, vous mangez mieux et même la bière est meilleure ! Il dit « venez, rejoignez nous ! Et sinon tant pis, on fera sans vous ! » Ce serait super que la France devienne l’un des pays les plus écolos au monde. Qu’il y ait comme une contagion.

Mais j’ai du mal à croire à ce changement. Contrairement à Cyril, je ne pense pas qu’on puisse comparer le mouvement des droits civiques ou celui des droits des femmes à l’écologie. Que ce système de valeurs puisse basculer en seulement dix ans. Car l’écologie ce n’est pas un combat pour avoir plus mais pour avoir moins. L’écologie, c’est de la contrainte, du renoncement. Ce n’est pas consensuel. Il y a ceux qui vont nier l’information, la combattre. Ceux qui disent la technologie va nous sauver, ceux qui pensent « après moi le déluge ». Il faut essayer de changer l’Histoire mais ne pas se raconter d’histoires…

Cyril Dion : Il y a toujours eu des récits, des mythes, qui ont été au fondement des sociétés. Et évidemment ça s’est accompagné de luttes ou de circonstances historiques, comme la famine et les taxes en 1789 qui rencontrent les Droits de l’homme et mènent à la révolution française. C’est ce qui m’intéresse en ce moment. Est-ce que la colère provoquée par les inégalités peut rencontrer la question de l’écologie, qui est pour moi la colonne vertébrale idéologique du XXIème siècle ?

On a besoin de susciter de la créativité, de l’enthousiasme. De montrer des initiatives qui fonctionnent pour raconter une histoire différente de l’avenir. Dans Après Demain, on voit des gens qui ont quitté des boulots très bien rémunérés pour faire des choses qui leur donnent envie de se lever le matin. Qui sont utiles aux autres, qui les rendent fiers.

Pour moi, un des ressorts de ces nouvelles histoires c’est de dire que la société qu’on nous promettait, celle où on allait gagner plein d’argent et jouir de tout le confort moderne, est condamnée. Et que son modèle a laissé beaucoup de gens sur le carreau. Ceux-là même qu’on retrouve sur les ronds points aujourd’hui avec le mouvement des Gilets jaunes. Au final, la cause des inégalités et la cause de la destruction de la planète, c’est ce système économique qui cherche du profit à court terme. Mais je montre qu’il y a de l’espoir. Et qu’une petite histoire peut vraiment changer l’Histoire !

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