We Demain | Un média pour changer d'époque

Lozère : le pari pastoral de la fromagerie Le Fédou

Souréliette © JEREMY LEMPIN

Publié par Florence Santrot  |  Mis à jour le

Dans les hauteurs arides du Causse Méjean, la fromagerie Le Fédou transforme chaque jour le lait de ses voisins éleveurs en fromages artisanal de caractère. Face à l’isolement, au manque d’eau et à la menace du loup, elle défend un modèle rural solidaire, enraciné, et pleinement vivant.

Hyelzas, Causse Méjean (Lozère, 48), Occitanie – Nichée à 959 mètres d’altitude sur le Causse Méjean, à plus de 2h de route de Montpellier, la fromagerie Le Fédou, emmenée par Florence Pratlong, incarne depuis près de 30 ans un modèle agricole résilient, à contre-courant des logiques industrielles. Ici, pas de standardisation ou de lait anonyme : chaque fromage est le fruit d’une relation directe avec les éleveurs locaux, et d’un lien organique au territoire.

Situé au cœur du parc national des Cévennes, le Causse Méjean est l’un des plus vastes plateaux calcaires d’Europe. Immense lande aride sculptée par le vent et le temps, il offre un paysage unique, saisissant, fait de dolines, de pelouses sèches et de forêts clairsemées. Classé réserve de biosphère par l’Unesco, le causse est autant un haut-lieu de biodiversité qu’un territoire exigeant, où seuls les plus résilients — bergers, brebis, plantes et humains — parviennent à s’installer durablement. Ici, la fromagerie Le Fédou défie à la fois l’éloignement, le climat et la fragilité économique.

fromagerie Le Fédou
Une employée de la fromagerie Le Fédou en pleine découpe de fromage caillé avant de les presser dans des moules perforés. Crédit : Jérémy Lempin/WD.

Le Fédou : une production à échelle humaine

Créée en 1994, la fromagerie Le Fédou transforme chaque jour entre 1 500 et 2 000 litres de lait de brebis, collectés dans un rayon de quelques kilomètres. Les éleveurs sont installés sur le plateau, à Hyelzas et dans les hameaux alentour. Cette proximité n’est pas un hasard : elle est la condition même de la réussite du projet.

“On collecte, on transforme, on vend nous-mêmes, résume Florence Pratlong. Les producteurs sont nos voisins. Tous sont en agriculture biologique, et leurs troupeaux pâturent sur le causse Méjean.” Ce lien direct avec la terre et les bêtes se ressent dans la qualité du lait, mais aussi dans la dynamique local  : la fromagerie soutient une quinzaine d’exploitations et fait vivre une trentaine de personnes, en direct ou en indirect.

Florence Pratlong
Florence Pratlong devant la fromagerie Le Fédou à Hyelzas. Crédit : Jérémy Lempin/DR.

Le lait est collecté quotidiennement, transformé sur place, affiné dans les caves, puis vendu soit en circuit court à la boutique de la fromagerie, attenante, soit à des revendeurs de confiance. Un réseau d’épiceries indépendantes, de crémiers engagés et de magasins spécialisés. “On n’est pas dans la grande distribution. Et on ne veut pas y aller.” Ce modèle intégré garantit la maîtrise de la qualité, mais aussi la résilience face aux aléas économiques.

Un levier de maintien agricole et de vie locale

Le Fédou est né d’un constat simple : sur ces plateaux isolés, il fallait inventer un modèle qui permette à de jeunes éleveurs de s’installer sans dépendre des grandes coopératives ou d’un prix du lait trop bas pour être vivable. “C’est un projet qui a permis de maintenir de l’élevage ici, explique-t-elle. Il y a des jeunes qui ont pu reprendre des fermes, en bio, parce qu’ils savaient qu’ils allaient vendre leur lait au Fédou. Et nous, on sait qui produit, comment c’est fait, et à quel prix.”

Cette contractualisation directe permet de sécuriser les revenus des éleveurs, de construire une logique de territoire et de limiter la spéculation. En parallèle, la fromagerie est devenue un véritable pôle d’attractivité : elle accueille des visiteurs, organise des dégustations, vend ses produits sur place, et participe ainsi à la vitalité économique et culturelle d’un territoire longtemps perçu comme en marge.

andré yvin tech sea lab
Sur les hauteurs du Causse Méjean. Il s’agit du plus haut des grands causses calcaires du Massif central. C’est aussi un des plus arides. Crédit : Jérémy Lempin/WD.

Une gamme courte, uen diversification limitée

Le Fédou transforme le lait en une gamme courte de fromages au lait cru, principalement des tommes affinées et quelques spécialités locales. “On n’a pas cherché à faire de tout. On ne fait pas de yaourts, on ne se disperse pas. Ce qu’on fait, on veut le faire bien.”

Les méthodes d’affinage sont adaptées au rythme naturel du lait et aux variations saisonnières. Pas d’additifs, pas de standardisation : les fromages reflètent le sol, les herbes du causse, les pratiques des éleveurs. “On essaie d’avoir un équilibre entre régularité et expression du terroir. C’est notre marque de fabrique.”

Claousou
Le Claousou, fromage emblématique de la fromagerie Le Fédou, est cerclé d’épicéa, un bois provenant du Jura. Crédit : Jérémy Lempin/WD.

Un territoire au cœur de l’identité

À Hyelzas, la notion de terroir n’est pas un argument marketing, c’est une réalité tangible. Le paysage, les conditions climatiques, la biodiversité unique du causse s’infusent dans les pratiques agricoles. “Ici, on vit avec le plateau. Ce n’est pas un décor, c’est une contrainte, un allié, un défi permanent”, dit la gérante.

Comme dans de nombreux territoires d’élevage extensif, et en particulier en Occitanie, les éleveurs partenaires du Fédou doivent composer avec une ressource de plus en plus critique : l’eau. “Sur le causse, il n’y a pas d’eau en surface. On dépend de citernes, de sources, parfois d’apports extérieurs. Or, avec les sécheresses de plus en plus fréquentes, c’est compliqué. On a connu des moments où il fallait acheter de l’eau pour abreuver les troupeaux”, explique Florence Pratlong. Cette contrainte structurelle pèse lourd dans l’organisation du travail et les investissements des fermes. Elle accentue encore la vulnérabilité économique en période estivale. Face à ce phénomène qui va s’accentuant, c’est tout un écosystème qui cherche des solutions pérennes.

champagne Drappier
À droite, Vincent Pratlong, fils de Florence, est lui aussi très impliqué dans la fromagerie Le Fédou. Crédit : Jérémy Lempin/WD.

La peur du loup sur le Causse Méjean

Autre difficulté récurrente : le retour du loup. Bien qu’aucune attaque n’ait encore visé les troupeaux du réseau du Fédou, la menace est réelle et grandissante. “On sait qu’il est là, qu’il rôde. C’est une inquiétude permanente pour les éleveurs. Il faut parfois rentrer les bêtes la nuit, revoir les clôtures, mobiliser plus de main-d’œuvre”, confie Florence. À ces ajustements s’ajoutent la fatigue, la tension, et un sentiment d’isolement souvent ignoré des politiques publiques. “Il faut comprendre que quand on perd une brebis, ce n’est pas juste une bête. C’est une saison de travail, un équilibre économique, une forme de respect du vivant.”

Mais pour l’heure, le Fédou se développe à bas bruit. La fromagerie est en train de se doter d’une toute nouvelle boutique pour faire déguster ses produits. Solidité, autonomie, ancrage restent ses mantras. Elle incarne aussi une certaine idée de la ruralité : active, créative, collective. “Le plus important pour nous, c’est de rester cohérents. On veut que les jeunes puissent encore s’installer ici dans dix ou vingt ans”, conclue la gérante.