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Climat : 10 % des plus riches ont provoqué les 2/3 du réchauffement climatique

Deux tiers du réchauffement, 10 % de responsables. Les plus riches. C’est la conclusion d’une étude coup-de-poing publiée dans Nature Climate Change. Pour la première fois, des chercheurs établissent un lien quantifié entre richesse et intensification des catastrophes climatiques.

Le 08/05/2025 par Florence Santrot
jet privé riches
Les plus riches qui prennent un jet privé pour un oui ou non non sont devenus l'emblèmes de cette gabegie écologique. Crédit : Tyler Olson / Stock.adobe.com
Les plus riches qui prennent un jet privé pour un oui ou non non sont devenus l'emblèmes de cette gabegie écologique. Crédit : Tyler Olson / Stock.adobe.com

Oubliez l’idée d’une responsabilité diffuse, partagée entre 8 milliards d’humains. Les riches brûlent la planète, les pauvres en paient le prix. Telle est en substance la conclusion d’une nouvelle étude inédite menée par des chercheurs européens et parue dans Nature Climate Change le 7 mai 2025. Le rapport montre qu’il est possible de tracer un lien direct entre les revenus les plus élevés et l’intensification des vagues de chaleur ou des sécheresses. Conclusion : depuis les années 1990, environ deux tiers du réchauffement climatique est imputable aux 10 % des individus les plus riches de la planète.

Pour établir cela, Sarah Schöngart, analyste en modélisation climatique à ETH Zurich et responsable de l’étude, explique : “Les impacts climatiques extrêmes ne sont pas seulement le fruit d’émissions globales abstraites. Nous pouvons les relier à des choix de style de vie et d’investissement, eux-mêmes liés à la richesse.” Grâce à un couplage innovant entre données économiques et modèles climatiques, les chercheurs ont imaginé un monde sans les émissions des 10 %, 1 % et 0,1 % les plus riches. Résultat : sans les plus riches, la planète aurait gagné seulement 0,01 °C depuis 1990. Avec eux, elle a pris 0,61 °C. Les auteurs de l’étude estiment que 65 % de l’augmentation de la température mondiale depuis 1990 est imputable aux émissions des 10 % des individus les plus riches. Pour les 0,1 % les plus riches, l’estimation est de 8 %.

réchauffement climatique
Évolution des températures mondiales si chaque habitant de la planète avait émis, en moyenne, autant de gaz à effet de serre que les 50 % les plus pauvres (violet), les 40 % du milieu (vert), les 10 % les plus riches (orange), les 1 % les plus riches (bleu) et les 0,1 % les plus riches (rose). Crédit : Schöngart et al. (2025).

Taxer les riches pour limiter le réchauffement climatique ?

Vol suborbital Katy Perry
De gauche à droite : Kerianne Flynn, la chanteuse Katy Perry, Lauren Sánchez, Aisha Bowe, Gayle King et Amanda Nguyễn. Ces femmes, qui font partie des plus riches de la planète, ont effectué un vol spatial le 14 avril 2025. En 11 minutes, chacune d’entre elles a émis autant d’équivalent CO2 que ce qu’elle aurait dû émettre en 8 ans. Crédit : Blue Origin.

Les 10 % les plus riches, c’est qui ? Ce sont toute personne gagnant plus de 42 980 euros par an. Cela correspond peu ou prou à la médiane salariale au Royaume-Uni (en France, le niveau médian est un peu moindre). À ce niveau, un individu émet 6,5 fois plus de gaz à effet de serre (GES) que la moyenne. Pour les 1 % les plus riches, ce chiffre grimpe à 20 fois. Et pour les ultra-riches — 0,1 % de la population mondiale —, c’est 76 fois plus.

Pour rappel, globalement, les êtres humains émettent plus de 40 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année. Et sur ce total, les pays développés sont responsables de la majorité des émissions mondiales. Les modes de vie généralement plus énergivores de leurs habitants en sont la cause. Les États-Unis, l’Union européenne, la Chine et l’Inde sont les quatre principales zones géographiques les plus émettrices du monde.

“Investir, c’est posséder une part d’entreprise, donc des émissions qu’elle génère”, rappelle Sarah Schöngart. L’étude prend ainsi en compte les émissions liées à la consommation mais aussi à la détention de capital. Une approche qui renforce l’idée selon laquelle réduire les émissions ne pourra se faire sans s’attaquer à l’accumulation de richesses carbonées. Comme le résume Carl Schleussner, co-auteur de l’étude :

“C’est l’un des leviers les plus puissants pour réduire les dommages futurs.”

À lire aussi : L’Europe doit réduire les émissions des plus riches

Des impacts concrets des riches et ultra-riches sur les régions les plus vulnérables

impact zones vulnérables par région
Augmentation de la fréquence des pics de chaleur estivale extrême (théoriquement observés une fois tous les 100 ans) dans certaines régions, imputable aux 10 % les plus riches (à gauche) et aux 1 % les plus riches (à droite) en Chine (rouge), aux États-Unis (rose), dans l’Union européenne (pêche) et en Inde (bleu). Crédit : Schöngart et al. (2025).

L’étude souligne que les émissions des plus riches ont des conséquences directes sur l’augmentation des événements climatiques extrêmes. Par exemple, les 1 % les plus riches ont contribué 26 fois plus à l’augmentation des vagues de chaleur extrêmes. Et 17 fois plus aux épisodes de sécheresse en Amazonie que la moyenne mondiale.

Les auteurs ont constaté que les émissions des 10 % des Américains les plus riches ont entraîné en moyenne 1,3 épisode de chaleur supplémentaire à l’échelle mondiale. Un impact inégalement réparti à travers le monde : ces 10 % ont contribué à 2,7 épisodes de chaleur supplémentaires dans les “zones touchées par la chaleur” telles que l’Amazonie et l’Afrique australe, estime l’étude.

Pour affirmer cela, les chercheurs se sont appuyés sur un ensemble de données sur les inégalités de revenus et de richesses issues de la Base de données mondiale sur les inégalités pour suivre l’évolution des inégalités sur la période 1990-2019. Il s’avère que les régions tropicales déjà vulnérables, comme l’Amazonie, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique australe, sont particulièrement touchées, bien que faisant partie des zones du monde qui contribuent le moins aux émissions mondiales.

Informer pour agir : un levier citoyen

Cette étude pourrait en décourager plus d’un. À l’aune de ces révélations, quand on ne fait pas partie des 10 % des plus riches de la planète, nos actions concrètes contre le changement climatique ont-elles encore un impact ? Oui. Malgré tout, les petites actions, mises bout à bout, restent importantes au sein du système global. En outre, la pression collective de citoyens informés peut, et doit, jouer son rôle pour agir de façon significative pour le climat.

À la lumière de ces résultats, des décisions structurelles s’imposent. Certains experts appellent à une taxation progressive des plus hauts revenus, d’autres à une fiscalité climatique sur les investissements. Lors du G20 de 2024 au Brésil, l’idée d’un impôt mondial sur les ultra-riches, fléché vers le financement de l’adaptation climatique, a été mise sur la table. Taxer les entreprises les plus émettrices – notamment dans les énergies fossiles – fait également partie des pistes explorées. Mais pour que ces propositions deviennent réalité, elles doivent s’appuyer sur une opinion publique informée et mobilisée.

Une vérité dérangeante, mais désormais chiffrée. Si nous voulons éviter un futur à +12 °C – si tout le monde vivait comme les 0,1 %, la Terre aurait pris +12,2 °C, affirme l’étude –, il est temps d’agir là où se trouvent les leviers les plus puissants : dans les portefeuilles des plus riches.

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