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EN PHOTOS : L’histoire du pétrole, par Hubert Védrine

Secrétaire général de l’Élysée sous Mitterrand, ministre des Affaires étrangères sous Jospin, Hubert Védrine a eu entre les mains nombre de dossiers chauds liés à l’or noir. Auteur du récent « Dictionnaire amoureux de la géopolitique », il commente pour WE DEMAIN 162 ans d’histoire du pétrole, en images, de sa découverte à sa fin annoncée.

Le 10/11/2021 par Gérard Leclerc
histoire du pétrole
Station-service à l’abandon, à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), janvier 2008. (Crédit : Fabrice Picard/Vu)
Station-service à l’abandon, à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), janvier 2008. (Crédit : Fabrice Picard/Vu)

Août  1859 : Edwin Drake fore le premier puits à Titusville (Pennsylvanie) et déclenche une ruée vers le pétrole

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Edwin Drake (à droite) a eu l’idée d’extraire du pétrole en perçant la roche. (Crédit : RBM Vintage Images)

« La photo évoque pour moi d’abord l’album de Luky Luke « À l’ombre des derricks » [de Morris et René Goscinny], qui raconte l’épopée du colonel Drake, justement en Pennsylvanie ! Peu de temps après sa fondation, le pétrole devient l’une des bases de la puissance de l’Amérique; avec son industrie, son sens de l’organisation et son ambition immense. L’or noir expliquera plus tard une grande partie de la géopolitique mondiale au XXe siècle, mais pas tout ! »

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1889 : la présentation par Gottlieb Daimler de la première voiture à essence va donner l’impulsion au pétrole

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(Crédit : Alamy ; Lebrecht Music & Arts)

« Cette première voiture à essence ne ressemble pas du tout à ce qu’on appelle aujourd’hui une automobile ! Les premières voitures, vers 1890-1900, coûtaient un prix astronomique, l’équivalent d’un avion privé d’aujourd’hui. Cette révolution du moteur à essence va durer un peu plus d’un siècle, et nous commençons à passer à l’électrique. Nous pouvons déjà regarder la voiture à essence avec un œil nostalgique, comme les chapeaux melon de Monsieur Daimler ! »

1916 : accords (secrets) Sykes-Picot prévoyant le partage du Proche-Orient en plusieurs zones d’influence

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(Crédit : Alamy ; FLHC 20012/Alamy)

« Présentés comme le modèle de la diplomatie secrète, avec un découpage inique de territoires, ils illustrent d’abord la volonté des puissances chrétiennes d’abattre l’Empire ottoman avec lequel elles luttaient depuis des siècles. La Première Guerre mondiale fournit l’occasion de dépecer cet empire qui s’est rangé du côté de l’Allemagne. Des discussions secrètes s’engagent entre le Royaume-Uni, la France (et l’Italie au début) pour se partager ses dépouilles. Le pétrole fait partie des enjeux, avec un début de répartition des secteurs de production à l’intérieur des zones d’influence des trois pays. Mais la motivation première est la revanche de l’Europe chrétienne sur les Ottomans. »

Octobre 1943 : L’échec de l’opération Edelweiss, après la défaite de Stalingrad, met fin aux visées des Allemands sur le pétrole du Caucase

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Publicité de 1943 de la société pétrochimique US Koppers qui fabriquait du caoutchouc synthétique. (Crédit : DR)

« Mettre la main sur le pétrole du Caucase était une des obsessions d’Hitler car c’était le nerf de la guerre. L’autre objectif était de dégager de l’espace vital à l’est en liquidant les populations russes, biélorusses, ukrainiennes et juives… Les technocrates nazis avaient calculé que l’attaque de la Russie, l’opération Barbarossa, allait entraîner la mort de 14  millions de personnes. Cela a été stoppé à Stalingrad. C’est le tournant de la guerre. »

14  février 1945 : Pacte du Quincy (signé sur ce croiseur américain) entre le roi Ibn Saoud et Franklin Roosevelt

Il garantit à la monarchie saoudienne la protection américaine en échange d’un accès au pétrole pour les États-Unis. Les sept plus grandes compagnies du monde (le « pacte des sept sœurs ») forment un cartel assurant leur domination sur la production mondiale.

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(Crédit : DR)

« Un accord essentiel et qui dure toujours. Nous sommes juste à la fin de la guerre, et Roosevelt, qui va mourir dans deux mois, arrive de la conférence de Yalta et s’arrête sur ce croiseur américain qui est amarré dans le canal de Suez pour rencontrer le roi d’Arabie. On voit sur cette photo iconique le colonel William Eddy, un genou à terre, qui sert d’interprète auprès du roi, et debout à gauche, l’amiral William Leahy, ex-ambassadeur des États-Unis à Vichy, devenu chef d’état-major. Par ce pacte, Ibn Saoud garantit l’approvisionnement pétrolier de l’Amérique en contrepartie de la protection de la famille Saoud, et de la reconnaissance de la stabilité de la péninsule comme faisant partie des intérêts vitaux des États-Unis.

Ce pacte n’a jamais cessé de fonctionner, en dépit de tous les événements, comme la création d’Israël. George Bush l’a renouvelé pour soixante ans en 2005. Obama l’a maintenu malgré des rapports froids avec le régime saoudien, Trump a joué la carte saoudienne à fond, et Biden ne le remet pas en cause. Il pourrait le faire car les États-Unis sont désormais autosuffisants avec le gaz de schiste.

Toute la géopolitique du pétrole deviendra superflue le jour où l’on maîtrisera la fusion nucléaire ou l’hydrogène et que l’on aura réalisé des batteries modernes pour conserver dans la durée l’énergie solaire. »

Octobre-novembre 1956 : Crise de Suez, après la nationalisation et le blocage du canal par l’Égypte. Naissance des supertankers

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(Crédit : Stefano Bianchetti)

« Israël, la France et le Royaume-Uni ont monté l’opération pour stopper le nationalisme arabe, en comparant Nasser à Hitler, ce qui était stupide. Eisenhower y a mis un terme ! Les enjeux sont pétroliers mais avant tout géopolitiques. »

18 mars 1967 : Naufrage du supertanker “Torrey Canyon” et première grande marée noire (l’expression est inventée par un journaliste du “Télégramme de Brest”), qui touche les côtes britanniques et françaises

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À Porthleven, dans les Cornouailles, pompiers et pêcheurs sont encerclés par la nappe de pétrole. (Crédit : Bridgeman Images ; PA Images)

« Une énorme catastrophe écologique, la première de cette importance, qui a souillé les côtes et tué des milliers d’oiseaux. Mais elle a eu très peu de conséquences et n’a réduit en rien sa production de pétrole dans le monde. En réalité, le pétrole est un produit organique qui finit par se résorber et qui n’a pas les effets dangereux de certains produits chimiques. La prise de conscience écologique n’a guère dépassé les pays directement touchés par la marée noire. »

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Octobre 1973 : Guerre du Kippour et premier choc pétrolier

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Le ministre israélien de la Défense Moshe Dayan entouré de militaires sur le front du Golan, en Syrie, en octobre 1973. (Crédit : Alamy ; J.-C. Sauer)

« La guerre du Kippour provoque le choc pétrolier car dans le cadre du conflit avec Israël, les pays arabes réagissent en remontant le prix du baril à un niveau normal à leurs yeux, inassumable pour les Occidentaux. La réalité est que ce n’était qu’un rattrapage car le prix réel stagnait depuis des années. Les conséquences ont été majeures : baisse de la croissance pour les économies occidentales et accumulation de pétrodollars pour les pays producteurs. La France qui allait élire Valéry Giscard-d’Estaing n’a jamais retrouvé l’aisance des Trente Glorieuses, qui reposaient en partie sur des prix de l’énergie très bas. Elle s’est lancée à juste titre (Pompidou, Messmer) dans un grand programme de construction de centrales nucléaires pour réduire sa dépendance pétrolière. »

Septembre 1978 : Révolution iranienne et deuxième choc pétrolier

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(Crédit : ParisMatch/Scoop; Li Genxing)

« Il est moins fort économiquement que le premier. Il n’y a plus l’effet de sidération. L’objectif de Khomeini n’est pas pétrolier, il est de chasser le Shah et d’instaurer un régime islamique chiite. »

1990-1991 : Première Guerre du Golfe. Coalition internationale contre l’Irak, dont l’armée a envahi le Koweit et ses installations pétrolières

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Le 3 mars 1991, l’armée américaine, à la frontière irakienne, après le cessez-le-feu. (Crédit : NurPhoto via AFP)

« On ne peut pas lire la guerre du Golfe sous le seul angle pétrolier. L’Irak de Saddam Hussein a combattu seule contre l’Iran pour le compte des pays arabes pétroliers dans une guerre qui l’a ruinée et fait des centaines de milliers de morts. Elle a réclamé des dédommagements financiers pour se reconstruire mais ses voisins les lui ont refusés.

Furieux, Saddam Hussein a décidé de mettre la main sur le coffre-fort : le Koweit, non pas pour les champs de pétrole en tant que tels, l’Irak en avait assez, mais pour les ressources financières !

Pour l’Occident, et la Russie, il était trop dangereux de laisser un seul pays détenir autant de réserves de pétrole dont il pourrait fixer les quantités produites et le prix. Mitterrand, qui avait été marqué par les années 1930, pensait qu’on ne pouvait pas laisser un pays des Nations unies en faire disparaître un autre. »

12 décembre 2015 : Les accords de Paris (COP 21) sur le changement climatique sont approuvés par 195 délégations

Ils prévoient de contenir le réchauffement climatique nettement en dessous de deux degrés par rapport au niveau préindustriel.

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Le 12 décembre 2015, la France remet le texte final d’un accord mondial sur le changement climatique aux participants de négociations marathon sur le climat à Paris. (Crédit : DR)

« Face à l’urgence écologique, le climat, la biodiversité, les océans, les déchets, il y a eu une très longue période d’ignorance absolue tant était grande la croyance dans le progrès et la croissance. L’écologie était ignorée, niée, ridiculisée.

Des entreprises et des lobbys ont financé des milliers d’études pour expliquer qu’il n’y avait pas de problème.

La prise de conscience s’est faite très progressivement, je me souviens que François Mitterrand avait été au sommet de la Terre à Rio en 1994. La France (Hollande, Fabius) a bien joué en réussissant à cristalliser les efforts lors des accords de Paris. Ils sont allés le plus loin possible, sans qu’ils soient contraignants. Les accords de Paris encadrent, contrôlent, stimulent. C’est le début de la fin du pétrole, mais ça prendra des décennies. La lutte contre le réchauffement climatique dépend moins d’engagements internationaux ou d’instruments juridiques que d’inventions : nous avons besoin de beaucoup plus de chercheurs, d’ingénieurs. »

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Janvier 2018 : Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane lance le programme de transformation de l’Arabie saoudite en pays post-pétrolier à horizon 2030

Le plan Vision 2030 vise à faire sortir l’Arabie saoudite de sa rente pétrolière. (Crédit : DR)

« Le monde entier a intérêt à ce que l’Arabie saoudite s’imagine un avenir autre que pétrolier. Elle doit pour cela s’ouvrir, développer d’autres secteurs, comme les nouvelles technologies et le tourisme, être un immense fonds financier. L’Arabie saoudite peut entraîner d’autres pays aujourd’hui incapables de se projeter dans l’avenir ; comme l’Algérie ou le Gabon. »

2020 : BP et Total envisagent pour la première fois le déclin de la demande de pétrole. Le pic serait atteint en 2030, et la demande déclinerait inexorablement en raison de la place grandissante des énergies renouvelables

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Une station-service abandonnée dans le parc national des Everglades, en Floride. (Crédit : Mark Andrew Thomas/Alamy )

« C’est un signe de notre époque : les grandes compagnies et les pays qui ne vivent que du pétrole sont obligés de se projeter dans l’après-pétrole alors qu’ils avaient tout fait pour le retarder car ils disposent encore de grandes réserves en creusant plus profond.

Patrick Pouyanné, le PDG de Total, a un coup d’avance. Il veut transformer Total en groupe multi-énergie qui va produire de l’électricité avec une part pétrolière va se réduire.

L’avenir est à l’“écologisation” de l’économie et de la société. C’est une nécessité vitale. Elle sera rapide pour des secteurs comme l’automobile et la construction, beaucoup plus lente pour l’avion ou la production agricole. Et encore faut-il que l’électricité ne soit pas produite à partir de pétrole et de charbon, mais d’énergies renouvelables ou du nucléaire, qui ne rejettent pas de CO2. »

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Dictionnaire amoureux de la géopolitique, par Hubert Védrine, éd. Plon Fayard.

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