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Révolution dans les rizières : ce riz divise les émissions de méthane par trois

Le riz nourrit plus de la moitié de la planète, mais sa culture génère près de 12 % des émissions mondiales de méthane. Des chercheurs, des prêtres balinais et même des poissons explorent aujourd’hui des solutions pour rendre ce pilier de l’alimentation plus vert.

Le 05/05/2025 par Florence Santrot
rizière en terrasses
Rizière en terrasses à Ban Pa Bong Piang, dans la province de Chiang Mai, au Thaïlande. Crédit : Thirawatana / stock.adobe.com
Rizière en terrasses à Ban Pa Bong Piang, dans la province de Chiang Mai, au Thaïlande. Crédit : Thirawatana / stock.adobe.com

On parle beaucoup des vaches quand il s’agit de méthane, mais on oublie souvent le riz. Et pourtant, cette céréale représente à elle seule près de 12 % des émissions mondiales de ce puissant gaz à effet de serre. Pourquoi ? Parce qu’il pousse souvent dans des rizières inondées, où l’eau stagnante coupe l’oxygène et crée un environnement parfait pour les bactéries méthanogènes. Autrement dit : un cocktail explosif pour le climat, cultivé à l’échelle de continents.

Mais la donne est peut-être en train de changer. En avril 2025, une équipe de chercheurs sino-suédoise publie une avancée spectaculaire dans Science of the Total Environment : ils ont mis au point une variété de riz non génétiquement modifiée qui émet 70 % de méthane en moins… tout en battant des records de rendement.

Doubler les rendements en émettant 70 % de méthane en moins

“Nous avons atteint 8,96 tonnes par hectare, là où la moyenne mondiale est autour de 4,7 t/ha”, précise l’étude relayée par Advanced Science News. Le tout sans OGM, grâce à une sélection naturelle croisant des variétés locales à faible émission et des souches performantes du point de vue agricole.

Le secret réside dans des composés chimiques appelés “exsudats racinaires”, libérés par les racines du riz. Certaines variétés émettent plus de sucres ou d’acides aminés dans le sol, nourrissant les bactéries qui produisent du méthane. En inversant cette tendance, les chercheurs ont réduit drastiquement le phénomène. L’équipe affirme que cette variété est prête à être testée à grande échelle, et pourrait transformer l’impact climatique du riz dans les zones les plus productrices du globe, de l’Inde au Vietnam.

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À Bali, les prêtres de l’eau défendent une agriculture du riz millénaire et durable

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Système d’irrigation dans les rizières balinaises. Crédit : hydebrink / stock.adobe.com

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres des laboratoires, une autre forme de savoir mobilise les forces de la nature pour une agriculture compatible avec l’équilibre écologique. À Bali (Indonésie), le système d’irrigation Subak, vieux de plus de 1000 ans, s’appuie sur une philosophie unique : le Tri Hita Karana, ou l’harmonie entre l’homme, la nature et le divin. Géré par les prêtres des temples de l’eau, ce réseau hydraulique relie les rizières aux temples en suivant le relief et les saisons, dans une organisation communautaire ultracoordonnée. Ce qui semble poétique est en réalité une leçon d’efficacité : en synchronisant les cycles de plantation et d’irrigation sur tout un bassin versant, le Subak limite la stagnation d’eau et donc… la production de méthane.

“Quand tout le monde plante et récolte en même temps, les périodes d’inondation sont raccourcies”, explique un prêtre interrogé par Mongabay, média spécialisé dans la conservation. Ce système, aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, montre que des pratiques ancestrales peuvent rivaliser avec la science moderne en matière de durabilité. Dans un monde où l’on parle d’agriculture régénérative et de circuits courts, l’exemple balinais rappelle qu’il existe des modèles de gouvernance paysanne et écologique, bien avant l’invention du label bio. Et que les traditions, quand elles sont bien enracinées, peuvent offrir des réponses puissantes à des défis très contemporains.

En Californie, des poissons dans les rizières pour piéger le méthane

Si l’idée semble farfelue au premier abord, elle repose sur des bases solides. En Californie, où le riz est cultivé dans des conditions similaires à celles de l’Asie, des chercheurs ont lancé une expérimentation étonnante : introduire des poissons dans les rizières. Plus précisément, des petits poissons comme le medaka ou la carpe herbivore, capables de consommer les algues, les larves et les déchets organiques qui alimentent les bactéries productrices de méthane.

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Ce petit poisson, le medaka, se plaît particulièrement dans les rizières. Crédit : ken / stock.adobe.com

Le résultat ? Selon une étude relayée par Wired en 2020, cette méthode permettrait de réduire jusqu’à 64 % des émissions de méthane. “C’est une solution gagnant-gagnant, explique l’un des chercheurs, car les agriculteurs peuvent également vendre les poissons ou les consommer, ajoutant une source de revenu ou de protéines.” Ce système, appelé rizipisciculture, est déjà pratiqué depuis longtemps en Chine ou au Bangladesh, mais il connaît un regain d’intérêt dans les pays industrialisés où la recherche de solutions agroécologiques s’intensifie.

Au-delà du gain climatique, ces pratiques ont aussi des effets bénéfiques sur la biodiversité et la santé des rizières. Les poissons participent à l’oxygénation de l’eau, à la réduction des maladies et à la régulation des nuisibles. Bref, une démonstration qu’en reconnectant les cultures à leur environnement vivant, on peut faire mieux – sans forcément faire plus compliqué.

Le riz, angle mort des politiques climatiques ?

Le paradoxe est frappant : malgré son rôle dans le réchauffement climatique, le riz reste encore peu présent dans les grandes stratégies de décarbonation. Pourtant, selon le World Resources Institute (WRI), la riziculture contribue à environ 1,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, en grande partie sous forme de méthane. Ce gaz, 80 fois plus puissant que le CO₂ sur une période de 20 ans, en le réduisant, constitue un levier immédiat pour freiner le réchauffement. Mais dans les COP ou les plans nationaux, peu d’attention est encore accordée à cette culture-clé pour la sécurité alimentaire mondiale.

Selon le rapport More Rice, Less Methane (2023) du WRI, certaines de ces pratiques sont déjà testées en Asie du Sud et du Sud-Est avec des résultats probants sur les rendements et les émissions. Le défi reste l’accessibilité de ces méthodes aux petits producteurs, qui représentent l’écrasante majorité des riziculteurs dans le monde.

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