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Félix Noblia : “Les agriculteurs ne peuvent pas financer seuls le coût de la transition”

Figure paysanne du forum mondial des sols vivants, à Arles, Félix Noblia réinvente l’agriculture au Pays basque et donne aux paysans un rôle central dans la transition écologique.

Le 11/03/2025 par Florence Santrot
Félix Noblia
Félix Noblia au milieu de ses champs. Crédit : Thomas Coex.
Félix Noblia au milieu de ses champs. Crédit : Thomas Coex.

Sur les hauteurs du Pays basque, Félix Noblia, 39 ans, mène avec une inébranlable volonté un combat singulier. En 2008, alors jeune diplômé en biologie, il prend la relève de la ferme de son oncle. “Je ne le savais pas alors mais il s’agissait d’une terre abîmée par les diktats de l’agriculture conventionnelle”, explique-t-il. Dès les premiers pas, l’engrenage économique et la fragilité des sols lui sautent aux yeux. “Je ne connaissais pas grand-chose, confesse-t-il modestement, mais j’ai vite compris que le substrat de mon terrain était pour ainsi dire mort. Pire qu’un drogué dépendant, il ne pouvait fournir qu’à condition d’avoir des intrants.”

Cet aveu, en apparence anodin, devient le point de départ d’une quête visionnaire : régénérer la terre et revoir son modèle agricole. Félix Noblia le reconnaît : il a fait à peu près toutes les erreurs possibles et imaginables. “La première a été d’arrêter simultanément le labour ainsi que l’usage d’intrants et de produits phytosanitaires. Ma terre ne produisait plus rien. J’ai bu le bouillon sur le plan économique mais j’ai continué à me former et j’ai fait venir des agronomes sur ma ferme.”

“L’année suivante, mes rendements ont explosé”

Félix Noblia trouve finalement dans la science des sols la clef de sa transition. Les experts sont unanimes : être très rigoureux sur l’itinéraire technique et reprendre les intrants le temps que le substrat s’enrichisse. “L’année suivante, mes rendements ont explosé.” Là où les monocultures de maïs et de riz avaient imposé leur règne, il introduit du blé, du tournesol, de la féverole… et crée, avec quelques proches, de nouvelles filières en circuit court. “Pour rentabiliser notre démarche, il fallait valoriser notre production en local. Nous avons, par exemple, fourni notre blé à des boulangers du Pays basque.” Un travail patient qui prend un nouveau tournant en 2016.

Cette année-là, deux de ses agriculteurs voisins, proches de la retraite, déclarent un cancer. L’un d’eux ne s’en sortira pas. C’est alors qu’il décide de franchir le cap du bio et d’abandonner toute substance chimique de synthèse sur ses terres. Il expérimente la compatibilité entre biologique et conservation des sols, et voit renaître l’écosystème. Ce passage vers une agriculture régénératrice attire peu à peu les regards, les curieux, les journalistes.

Surtout que, cette année-là, il obtient le trophée de l’agroécologie. Sans vraiment le vouloir, mais désireux de partager son expérience, Félix Noblia devient une voix, un guide, dans ce mouvement agricole. “J’étais de plus en plus sollicité pour des conférences, des interviews… au point que cela occupait deux jours de mon temps chaque semaine. J’ai dû m’organiser pour faire en sorte de faire vivre les deux : une pratique de la terre en symbiose avec la nature et le partage de mes connaissances.”

ReGeneration : une alternative économique pour une agriculture vivante

Conscient que la transition écologique ne peut reposer sur ses seules épaules, il fonde, en 2021, avec Thomas Rabant, la société ReGeneration. En théorie, l’idée est simple : mesurer et monétiser les bénéfices environnementaux produits par des pratiques agricoles vertueuses. La biodiversité, le stockage de carbone et l’infiltration de l’eau sont quantifiés scrupuleusement et certifiés, pour que des entreprises investissent dans ces exploitations innovantes.

“Les agriculteurs ne peuvent pas financer seuls le coût de la transition”, martèle Félix Noblia, bien décidé à ancrer cette conscience écologique dans le monde économique. Ce n’est pas toujours simple de convaincre les investisseurs du sérieux de la démarche et du rôle central que l’agriculture peut jouer dans la séquestration du carbone. Après deux années difficiles, ReGeneration est désormais sur les bons rails avec un réseau national d’une centaine d’agriculteurs.

L’espoir d’une prise de conscience collective

Pour Félix Noblia, l’agriculture régénératrice s’avère bien plus qu’une technique : elle incarne une résistance face au modèle conventionnel qui broie les sols et les âmes. Ce qu’il fait naître dans ses champs, il le prolonge au cœur de son village, où il assume le mandat de maire. “Ici, je suis paysan, entrepreneur, et j’ai un peu la charge du bien commun”, résume-t-il sobrement. Il sait qu’il n’a pas d’autre choix que d’avancer, de tout tenter pour que l’agriculture respecte le vivant.

Malgré la lenteur du changement en cours et les obstacles structurels qui freinent l’évolution des pratiques agricoles, Félix Noblia garde l’espoir d’une prise de conscience collective. “On a les solutions, on sait régénérer les sols, il ne nous manque qu’une volonté partagée”, confie-t-il, convaincu qu’une agriculture plus respectueuse est possible, si l’on en saisit l’urgence. Car derrière chaque geste se dessine une promesse, celle que des sols vivants peuvent sauver bien plus qu’une ferme.

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