Partager la publication "À bord de La Korrigane, nouveau navire bas carbone de recherche scientifique"
Son nom rend hommage à l’expédition d’exploration scientifique éponyme menée dans le Pacifique Sud dans les années 30. La Korrigane est un bateau de recherche scientifique. Inauguré le 8 novembre 2024, le navire du Muséum National d’Histoire Naturelle a accosté pour deux jours sur les bords de Seine en plein coeur de Paris. “C’est un cadre incroyable, mais on en a bavé pour venir ici”, souligne Loïc Le Goff, le capitaine de la Korrigane. “En temps normal, on ne serait pas partis, reconnaît Sébastien Aubin, second du bateau et chercheur. Mais là, c’était la seule fenêtre météo possible.” Partis de Saint-Malo, ils ont fait une escale technique à Cherbourg avant de rejoindre Le Havre puis de remonter de la Seine, via Rouen et Gennevilliers. Le tout dans des conditions météo compliquées en raison du vent de Nord-Est.
Mais le navire, long de 15 mètres, large de 4,6 mètres et pesant seulement 25 tonnes, est arrivé à bon port et trône fièrement face à la Tour Eiffel. Son apparence dénote par rapport aux standards : sa coque en aluminium recyclée n’a pas été peinte au-dessus de la ligne de flottaison. “Avec le temps, elle va se patiner. Déjà, elle est beaucoup moins brillante qu’à son neuvage, en avril dernier. Nous, ça ne nous dérange pas de voir les marques d’usinage, de découpe et de ponçage de l’atelier”, indique Sébastien Aubin.

Un laboratoire flottant éco-conçu et propulsé par un moteur hybride
La Korrigane n’est pas un bateau comme les autres. “C’est un prototype, confie Christelle Paillon, ingénieure de recherche en écologie marine. Il fallait tout faire rentrer dans 15 mètres de long : moteur hybride, batteries, labo, couchages… C’était un casse-tête.” Résultat : un navire léger, à faible tirant d’eau (1m10), qui glisse sur la mer sans bruit ou presque. “La motorisation électrique, c’est un bonheur, raconte Loïc Le Goff. Après plusieurs de navigation, on est fatigués physiquement, mais pas nerveusement car le bruit est très faible. On peut se parler normalement, même entre la barre et le pont.” Et pour la faune marine, moins de bruit, c’est moins de stress, moins de fuite.
Mais au-delà du confort, c’est l’impact scientifique qui compte. “Ce bateau a été pensé par des océanographes pour faire de la science efficace”, explique Sébastien Aubin. À l’arrière, un portique oscillant permet de manipuler en toute sécurité les instruments de prélèvement. À l’intérieur, un véritable laboratoire permet d’analyser les échantillons en direct. “Certains paramètres doivent être traités tout de suite pour être fiables. Par exemple, les filtrations d’eau ou les sédiments, c’est immédiat. Sinon, les résultats peuvent être faussés”, précise le chercheur.

Une approche plus douce de la recherche
Moins de chaluts, plus d’observation. C’est ce que vont permettre les nouvelles approches scientifiques qui misent davantage sur l’écoacoustique et les prélèvements ADN dans l’eau pour identifier les espèces présentes dans la zone et leur concentration. Cela doit permettre, peu à peu, de limiter les prélèvements via des pêches ponctuelles. “On essaye de faire de la science douce, insiste Christelle Paillon. Avec ces méthodes, pas besoin de pêcher à outrance, ni de tuer des poissons.” Caméras embarquées, sondeurs acoustiques… La Korrigane privilégie les techniques non-invasives.
Et pour l’ADN environnemental ? Concrètement, “On filtre l’eau à l’aide d’un petit appareil puis on la passe à l’analyse ADN. Rapidement, on peut savoir quel poisson est passé par là. C’est comme ça qu’on avance, sans forcément prélever”, poursuit-elle. Une manière de mieux connaître l’écosystème, tout en le respectant.

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Des suivis environnementaux de long terme avec La Korrigane
La Korrigane est aussi un maillon essentiel du réseau SOMLIT, qui suit la qualité de l’eau sur tout le littoral français. “On mesure une quinzaine de paramètres hydrologiques tous les 15 jours, détaille Sébastien Aubin. Température, pH, nutriments, salinité… Ces données s’accumulent depuis 1995 et permettent de voir des évolutions.” À partir de dix ans de mesures, les scientifiques peuvent dégager des tendances. “Oui, il y a des signes de réchauffement ou d’acidification. Mais il faut prendre le temps, ne pas tirer de conclusions hâtives sur une seule année”, assure-t-il.

Les missions se succèdent, dans la baie de Saint-Malo et tout golfe normand-breton. “On fait aussi du benthos, c’est-à-dire l’étude de la faune du fond marin. Des espèces lentes, comme les mollusques ou les vers, qui réagissent très finement à la pollution”, explique Christelle Paillon. Ces bio-indicateurs permettent de diagnostiquer l’état de santé d’un écosystème. “S’ils disparaissent, c’est qu’il y a un problème. Au contraire, s’ils sont présents, c’est bon signe.” Pour cela, la Korrigane est dotée de deux bennes de tailles différentes qui sont descendus à quelques mètres ou dizaines de mètres de profondeur pour aller faire des prélèvements sur les fonds marins (sable, végétaux, animaux) afin d’étudier la biodiversité.
La Korrigane, un projet né d’un plan de relance
Le bateau n’aurait peut-être jamais vu le jour sans le plan de relance de l’État post-Covid. “Il finançait les projets alliant innovation et développement durable. Le lycée maritime de Saint-Malo nous a soufflé de candidater, et le Muséum a saisi l’opportunité”, se souvient Sébastien Aubin. Des aides bienvenues pour financer une partie du budget nécessaire à la fabrication du Korrigane : 1,9 million d’euros. La Korrigane vient ainsi remplacer le Louis Fage, le chalutier de recherche de la station marine de Dinard qui datait de 1987.
Suite à ce projet imaginé il y a 3 ans, une collaboration s’est nouée entre les équipes pédagogiques et scientifiques. “Le bateau sert aussi à la formation des élèves du lycée maritime de Saint-Malo. Non seulement ils apprennent à naviguer mais c’est une manière de leur montrer que la science marine, c’est concret, c’est utile, et c’est possible autrement.”

Vers un navire encore plus vert
Prototype évolutif, La Korrigane prévoit déjà sa prochaine transformation. “En 2026, nous pensons installer des voiles rigides avec panneaux solaires l’année prochaine, annonce le capitaine. Elles se coucheront sur le pont, comme un taud.” Objectif : augmenter encore l’autonomie électrique.
“Aujourd’hui, on a 5 heures en tout électrique. C’est suffisant pour la plupart des sorties journalières. Pour les missions plus longues, on bascule sur le thermique, mais avec une consommation de 10 litres à l’heure seulement, ce qui est très bas par rapport à la moyenne”, détaille Sébastien Aubin.

Une aventure collective
Tout dans ce projet est affaire de coopération. De l’architecte naval Chip Esté à l’équipe du chantier Gléhen de Douarnenez, des chercheurs aux marins, chacun a mis la main à la pâte. “On a tout construit en équipe, souligne Christelle Paillon. Ce bateau, c’est un peu notre bébé.”
Et les défis n’ont pas manqué : batteries de 230 kg à faire glisser dans la cale, compromis entre couchages et équipements, cuisine à glisser dans un coin du laboratoire scientifique, équilibre à trouver entre confort et sécurité… “Mais aujourd’hui, on est fiers. On sait qu’on tient là un outil rare, robuste et précieux pour mieux comprendre la mer“, conclut l’ingénieure.

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