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La Croisière Verte : “La plus grande satisfaction de cette expédition, c’est d’avoir prouvé que la mobilité électrique peut être totalement autonome”

Un siècle après la Croisière Noire d’André Citroën, Éric Vigouroux et son équipe ont réalisé un exploit : traverser l’Afrique en Citroën AMI 100 % électrique et alimentée à l’énergie verte. Une aventure pionnière, qui démontre que la mobilité durable n’est plus un concept, mais une réalité.

Le 11/03/2025 par Florence Santrot
Gabon route
Plus de 16 000 km en Citroën AMI à travers l'Afrique grâce au solaire, c'est le pari fou – et réussi – de La Croisière Verte. Crédit : LCV-Claudio von Planta.
Plus de 16 000 km en Citroën AMI à travers l'Afrique grâce au solaire, c'est le pari fou – et réussi – de La Croisière Verte. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

De Ouarzazate, au Maroc, à Cape Town, en Afrique du Sud, sans faire un seul plein d’essence. Il aura fallu quatre mois – 123 jours – aux quatre Citroën AMI spécialement modifiées pour avaler les 16 300 kilomètres qui séparent les deux villes et traverser ainsi l’Afrique du Nord au Sud dans cette aventure qu’a été la Croisière Verte. Tout au long de ce périple, Éric Vigouroux et son équipe ont relevé un défi unique en se déplaçant uniquement grâce aux énergies propres et en bonne partie en autonomie.

Le voyage a en effet été entièrement alimenté par 4 200 kWh d’électricité renouvelable (95 % solaire, 4 % hydroélectrique et 1 % éolien), sans la moindre émission de CO2. Au-delà de la performance technique, cette aventure a permis de montrer que l’Afrique dispose d’un potentiel énorme en matière d’énergies renouvelables et que l’adoption des solutions électriques est déjà en marche sur le continent. WE DEMAIN a pu échanger avec Éric Vigouroux une semaine après le terme de ce voyage hors du commun.

Croisière Verte
L’équipe de La Croisière Verte, avec Éric Vigouroux au centre, rencontre le responsable d’une usine hydroélectrique à Ayamé, en Côte d’Ivoire. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

Qu’est-ce qui vous a inspiré cette aventure ?

Tout a commencé par le hasard d’une lecture. Un jour, en feuilletant un vieux livre dans la bibliothèque de mes beaux-parents, je suis tombé sur le récit de La Croisière Noire. Je connaissais la Croisière Jaune, mais j’avais étrangement peu entendu parler de cette expédition de 1924 qui traversa l’Afrique et qui a été mise sur pied par André Citroën. L’audace de l’époque m’a fasciné. C’est là que l’idée a germé : pourquoi ne pas réécrire l’histoire avec une approche moderne, 100 % électrique et propre ?

J’ai tout de suite su que cela devait être une aventure à la fois humaine et technologique. La traversée de l’Afrique représentait un défi extrême qui allait démontrer que l’électrique peut aussi être synonyme de performance et d’autonomie, même dans les environnements les plus exigeants.

Panneaux solaires Gabon
Lors de certaines étapes, comme ici au Gabon, La Croisière Verte a pu compter sur des fermes photovoltaïques pour recharger les batteries plus rapidement. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

Aviez-vous déjà une sensibilité particulière pour l’Afrique et les mobilités propres ?

J’ai toujours été passionné par les grands espaces et l’aventure. Mon premier contact avec l’Afrique remonte à mon enfance, lorsque je regardais émerveillé les images du Paris-Dakar. Cela m’a marqué au point que, devenu adulte, j’ai décidé de me lancer dans le rallye-raid. J’ai participé pendant plus de vingt ans à des compétitions automobiles à travers le monde, notamment en Amérique du Sud et en Afrique.

Mais, au fil du temps, j’ai commencé à ressentir un décalage entre ma passion et ma conscience écologique. Les problématiques environnementales devenaient trop évidentes pour être ignorées, et mes propres enfants me questionnaient sur l’impact de mon activité. J’ai donc fait un virage à 180 degrés en cherchant un moyen de conjuguer aventure et responsabilité écologique, ce qui m’a conduit à la Croisière Verte.

Pourquoi avoir choisi la Citroën AMI ?

Honnêtement, ce n’était pas mon premier choix ! Je cherchais un véhicule électrique léger et simple, mais la Citroën AMI ne m’a pas immédiatement sauté aux yeux. Je cherchais certes du côté de Citroën pour faire écho à la Croisière Noire mais je n’avais pas un modèle précis en tête. Au départ, je lorgnais plutôt les véhicules utilitaires dans l’idée de pouvoir emporter beaucoup de matériel. Mais le poids était un problème. On aurait passé plus de temps à recharger les batteries qu’à rouler.

Et puis j’ai découvert une version buggy de la Citroën AMI. Après plusieurs tests, on a vu son potentiel : son poids plume permettait une autonomie optimisée avec l’énergie solaire embarquée. Nous avons modifié son châssis et renforcé ses suspensions pour affronter les pistes africaines. Nous avons aussi remplacé son moteur d’origine par deux moteurs électriques installés directement dans les roues arrière, ce qui nous a permis d’améliorer le rendement énergétique et d’augmenter la traction sur les terrains difficiles.

Angola
Une Citroën AMI version buggy qui fait aussi bien qu’une Jeep ? Presque ! Ici, en Angola. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

“Le poids plume de la Citroën AMI permettait une autonomie optimisée avec l’énergie solaire embarquée.”

Comment avez-vous assuré votre autonomie énergétique ?

Chaque véhicule était équipé de 44 panneaux solaires fournis par un de nos sponsors, SunPower [le même qui a équipé l’avion solaire Solar Impulse de Bertrand Piccard et le projet SolarStratos, NDLR]. Le tout pouvait produire jusqu’à jusqu’à 5,6 kW d’énergie. Cela nous permettait de recharger les batteries en 5 à 6 heures en plein soleil et d’assurer une autonomie moyenne de 400 à 500 km. Nous sommes même allés jusqu’à 600 km en une seule charge en Mauritanie. La route était superbe, bien plate et avec un petit vent arrière. C’était parfait.

mauritanie croisière verte
Une route “parfaite” en Mauritanie et un petit vent arrière : le cocktail parfait pour un record de 600 km avec une seule charge. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

En revanche, en Afrique équatoriale, où la couverture nuageuse était importante, on a parfois attendu plus de 24 heures pour une recharge complète. Mais nous avons tenu bon : pas une seule fois nous n’avons utilisé d’énergie fossile, ce que nous n’aurions pas imaginé au départ.

“Pas une seule fois nous n’avons utilisé d’énergie fossile, ce que nous n’aurions pas imaginé au départ.”

Cela a été aussi rendu possible par le fait que nous avons pu nous connecter à des centrales solaires et hydroélectriques en cours de route. En tout, nous avons visité une quinzaine d’installations d’énergie renouvelable, ce qui nous a permis de mieux comprendre comment ces infrastructures se développent sur le continent. La plus grande satisfaction de cette expédition, c’est d’avoir prouvé que la mobilité électrique peut être totalement autonome, y compris hors zone urbaine.

Citroën AMI Panneaux Solaires
Pour une traversée en autonomie, chaque Citroën AMI embarquait son lot de panneaux photovoltaïques. Crédit : LCV.

Quels étaient les plus grands défis techniques ?

Les suspensions ! La Guinée, notamment, nous a réservé des pistes plus cassantes que prévu, et nous avons rapidement constaté que les bras arrière de suspension ne tiendraient pas. On a improvisé des réparations dans des garages locaux, puis on a finalement fait acheminer des pièces de renforcement à Cotonou, au Bénin. Après cela, nous n’avons plus eu de problèmes mécaniques majeurs sur La Croisière Verte. La technologie électrique, elle, a été d’une fiabilité exemplaire.

Il n’y a eu qu’un problème sur tout le parcours : on ne sait pas vraiment pourquoi mais l’une de nos batteries a pris feu. Dès que le pilote a vu de la fumée, il s’est arrêté. Par chance, j’ai réussi à l’éteindre avec un extincteur avant qu’elle ne provoque des dégâts plus importants. Il a suffit ensuite de relier à nouveau les cinq autres batteries pour que la voiture puisse rouler à nouveau, mais avec une autonomie un peu plus limitée. Cet incident nous a rappelé l’importance de bien surveiller les températures et d’avoir toujours des solutions de secours.

Réparation voiture Sénégal
Il a fallu réparer régulièrement les véhicules. Heureusement, La Croisière Verte a pu compter sur de l’aide locale. Ici, au Sénégal. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

Pari réussi : c’est la preuve que la mobilité électrique, même loin de tout, est possible…

Oui, nous avons aussi fait la démonstration que la mobilité électrique a vraiment du sens. Je l’avais déjà avant de partir mais cette expédition a permis aussi de démontrer qu’elle a encore plus de sens si les véhicules sont légers, s’ils sont débarrassés de tout un tas de gadgets inutiles, d’un confort qui est complètement surdimensionné par rapport aux déplacements qu’on fait au quotidien. Pour la mobilité de 80 % des gens au quotidien, pour aller d’un point A à un point B, un véhicule léger et équipé frugalement est bien suffisant.

Nous avons prouvé qu’avec des voitures très légères, très simples, très faciles à faire fonctionner, très faciles à réparer, en se contentant de l’essentiel, on arrive à parcourir de grandes distances. Et l’essentiel de l’énergie qu’on a fabriquée et consommée, elle a servi à déplacer les gens présents dans les voitures plus que déplacer le poids de la voiture elle-même, ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui des voitures électriques conventionnelles, souvent très lourdes.

“Nous avons démontré qu’avec des voitures très légères, très simples, très faciles à faire fonctionner, très faciles à réparer, en se contentant de l’essentiel, on arrive à parcourir de grandes distances.”

Comment était l’accueil dans les pays traversés ?

Exceptionnel. Contrairement à certaines idées reçues, nous avons été accueillis partout avec enthousiasme et curiosité. Nos véhicules ont intrigué, amusé, fasciné. Dans chaque village, la première question était : “Est-ce qu’on peut les acheter ?” Preuve qu’il y a un réel intérêt pour la mobilité électrique en Afrique.

Les rencontres ont été très enrichissantes. Nous avons échangé avec des entrepreneurs, des chercheurs et des étudiants passionnés par les énergies renouvelables. Certains développent déjà des solutions locales pour électrifier les transports à faible coût et avec des sources d’énergie propre. C’est très encourageant.

guinée enfants
Comme sur la plupart des arrêts, les véhicules attiraient toute l’attention. Ici des élèves d’une école en Guinée. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

Quels autres enseignements tirez-vous de cette expérience ?

La principale leçon de cette Croisière Verte, c’est qu’il est possible de voyager loin et longtemps sans aucune dépendance aux carburants fossiles. Nous avons été 100 % autonomes, y compris dans les zones les plus reculées. Cela donne un sentiment de vraie liberté et de grande joie quand on pense que cette aventure était zéro émission J’espère que cette expédition servira d’inspiration à d’autres. Car une chose est sûre : nous ne sommes qu’au début d’une révolution.

Parc animalier- Namibie
En Namibie, rencontre entre une Citroën AMI et une girafe. Crédit : LCV-Claudio von Planta.

J’ai aussi pris conscience de l’impact que nous avons sur notre environnement. En traversant des régions où les déchets plastiques s’accumulent et où la déforestation bat son plein, j’ai compris à quel point nous devons repenser notre manière de consommer et de nous déplacer. Par exemple, pour entrer dans la ville de Lagos au Nigéria, il faut traverser 5-10 km de poubelles à ciel ouvert et de gens qui vivent dessus. Même chose en en sortant. Quand on pense qu’il y a 100 ans, à l’échelle de la planète c’est en microsecondes, quand André Citroën a traversé l’Afrique, il n’a pas vu un seul plastique par terre…

“Quand on pense qu’il y a 100 ans, André Citroën a traversé l’Afrique sans voir un seul plastique par terre…”

Ce qui nous a marqué aussi, ce sont les très nombreux camions remplis d’arbres centenaires croisés sur la route. Des centaines et des centaines. Sur certains grumiers, ils ne pouvaient mettre que 3 troncs d’arbres, tellement ils étaient gros, tellement ils étaient vieux. Je ne sais pas dans quelle mesure il y a des plans de reforestation, de gestion durable mais, au regard du balai permanent constaté au Gabon et en République démocratique du Congo par exemple, il y a certainement des trafics…

Et la suite ?

Nous avons la volonté de créer un documentaire sur La Croisière Verte pour partager cette expérience unique mais il nous faut d’abord trouver des fonds pour financer cela. En tout cas, nous avons rapporté des images extraordinaires de cette aventure.

Mais j’ai aussi d’autres idées en tête : pourquoi pas une compétition d’endurance à énergie 100 % renouvelable, façon Dakar ? Peut-être au Maroc, avec des véhicules très légers et une belle autonomie de 500 ou 600 km grâce au solaire. Ce ne serait pas une épreuve de vitesse, mais plutôt une épreuve de stratégie, de navigation, de gestion de ses ressources, de lecture de la météo… En électrique, c’est un peu comme un voilier qui part traverser l’océan, on va forcément plus vite s’il y a du vent… Là aussi, il faudrait s’adapter en fonction des conditions qu’on rencontre.

“Pourquoi pas une compétition d’endurance à énergie 100 % renouvelable, façon Dakar ?”

La Croisière Verte en quelques chiffres :
Distance parcourue : 16 300 km depuis Ouarzazate jusqu’au Cap
Pays traversés : 16 (Maroc, Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigéria, Cameroun, Gabon, Congo, République Démocratique du Congo, Angola, Namibie, Afrique du Sud)
Durée de l’expédition : 4 mois (123 jours), du 28 octobre 2024 au 28 février 2025
Une production et une consommation totale d’environ 4200 kw d’électricité verte
100% d’énergie renouvelable : 95% solaire, 4% hydroélectrique et 1% éolienne
Vitesse moyenne de déplacement : 43 km/h

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