Partager la publication "Sylvain Waserman (ADEME) : “La transition écologique devient le cœur de la stratégie des entreprises”"
“La raison d’être de l’ADEME est d’être opérateur de l’État aux côtés des entreprises et des élus pour qu’il puissent réussir leur transition écologique.” C’est ainsi que Sylvain Waserman, Président de l’Agence de la transition écologique, présente la mission que lui et ses équipes portent au quotidien. Depuis un an et demi à la tête de l’institution, il observe une mutation profonde des dynamiques économiques, où la transition écologique devient un impératif stratégique pour les entreprises, bien au-delà des contraintes réglementaires.
Face aux défis climatiques et aux exigences du marché, l’ADEME accompagne les acteurs économiques et territoriaux pour transformer ces obligations en opportunités. Malgré les nombreuses critiques actuelles à l’encontre de l’institution, Sylvain Waserman rappelle que l’Agence a pour mission d’éclairer – et non de prescrire ou d’obliger – afin d’accélérer la transition écologique française. C’est dans ce cadre que l’Etat a confié à l’ADEME quelque 3,4 milliards d’euros en 2024. Sur ce montant, 92 % de cette somme a servi à financer directement des projets de transition écologique. Dans cet entretien, Sylvain Waserman revient sur les initiatives locales, les défis de la décarbonation et les outils mis en place, notamment à travers des méthodologies comme l’ACT ou des expérimentations territoriales.
À votre arrivée à la tête de l’ADEME, vous avez parcouru la France et recueilli des témoignages d’entrepreneurs, de collectivités et d’acteurs publics engagés dans la transition écologique. Quel constat en tirez-vous ?
Sylvain Waserman : Le premier enseignement, c’est que la transition écologique est devenue une question stratégique centrale pour les entreprises. Il ne s’agit plus d’un sujet de RSE que l’on traite en fin de comité de direction, quand il reste un peu de temps. C’est devenu un enjeu de compétitivité immédiat. Un patron de PME de l’industrie du verre, situé dans l’Orne, m’a raconté comment ses clients du luxe lui ont imposé une décarbonation rapide : “Ils nous ont écrit il y a quelques années pour nous dire ‘Nous serons totalement décarbonés en 2030, donc nos fournisseurs devront l’être aussi.'” Pour lui, ne pas s’engager dans cette voie signifiait être exclu du marché. C’est un mouvement profond qui touche toute la chaîne de valeur, qui doit être intégré dans la matrice des risques.
La décarbonation semblait surtout portée par les grandes entreprises. Est-ce encore le cas ?
Non, et c’est une évolution majeure. Bien sûr, les grands groupes imposent leurs standards à leurs fournisseurs, mais nous voyons aussi des dynamiques locales s’organiser spontanément. La transition écologique devient le cœur de la stratégie des entreprises. Dans des entreprises familiales, par exemple, la vision du long terme prime : on pense à la génération suivante qui reprendra l’affaire, et cela pousse à intégrer la décarbonation dans la stratégie dès maintenant.
Les territoires jouent également un rôle clé. Nous avons lancé le programme des zones industrielles bas carbone (ZIBAC), qui vise à mutualiser les infrastructures pour réduire les coûts de décarbonation. Lorsqu’un industriel investit dans une source d’hydrogène ou un système de récupération de chaleur, il peut le partager avec d’autres entreprises du même pôle. Cette approche change totalement l’équation économique. Surtout, les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à avoir compris que mettre la tête dans le sable et attendre que ça passe, ça ne marche pas dans la transition écologique.
“Mettre la tête dans le sable et attendre que ça passe, ça ne marche pas dans la transition écologique.”
Malgré cette volonté, les freins administratifs ralentissent les projets. Comment y remédier ?
C’est un problème réel. Trouver les budgets est important mais le délai de déploiement l’est tout autant. En France, nous avons des exigences environnementales fortes, ce qui est positif et nécessaire, mais les délais sont souvent trop longs. Il faut donc créer des zones d’accélération. Par exemple, si une commune identifie en amont les terrains favorables aux projets éoliens ou solaires, elle peut, préventivement, entamer des démarches pour préparer l’implantation de ces énergies renouvelables. Une fois que c’est inscrit dans le Plan Local d’Urbanisme (PLU), cela réduit les risques et les délais de recours. Cela accélère les procédures de recours, sans brader les exigences environnementales.
L’ADEME expérimente également une approche différente, beaucoup plus locale, avec cinq territoires pilotes…
Absolument. Sur un an et demi – nous sommes à mi-chemin –, nous voulons voir si on va plus vite et plus loin dans la transition écologique si les initiatives viennent d’en bas et non d’en haut. Il s’agit de répondre à des situations de territoire spécifiques. Par exemple, avec le président de la région Normandie, Hervé Morin, et le préfet, nous avons voulu renverser la logique traditionnelle des appels à projets. Plutôt que de demander aux territoires de s’adapter aux dispositifs existants, nous avons identifié cinq communautés de communes et leur avons donné carte blanche pour construire leurs propres stratégies de transition écologique.
Pendant un an et demi, nous les accompagnons dans une démarche expérimentale pour voir si partir de leurs besoins concrets permet d’accélérer la transformation. L’objectif est d’évaluer les résultats de cette approche, de mesurer si elle permet une mise en œuvre plus rapide et efficace des politiques publiques, et de voir comment généraliser les bonnes pratiques issues de cette expérimentation. Car l’idée, ensuite, est d’essaimer. D’analyser les initiatives puis de les modéliser pour une généralisation massive des solutions qui marchent.
“Nous voulons analyser puis modéliser les initiatives issues des territoires pour une généralisation massive des solutions qui marchent.”
Le secteur financier joue-t-il son rôle dans cette transition ?
De plus en plus. Les banques et investisseurs savent que le risque majeur aujourd’hui, c’est l’inaction. Ne pas anticiper la décarbonation, c’est prendre le risque d’être exclu des marchés. C’est pour cela que l”ADEME a développé la méthodologie ACT (Accelerate Carbon Transition) pour aider les entreprises à évaluer la crédibilité de leur plan de transition. La Banque de France l’a adoptée comme référence, et nous voyons un intérêt croissant des entreprises pour en faire un atout concurrentiel.
Pouvez-vous nous détailler les grands principes et avantages de l’ACT, porté par l’ADEME ?
ACT repose sur une méthodologie scientifique rigoureuse qui permet d’évaluer la crédibilité des trajectoires de décarbonation des entreprises. Se fixer un objectif à dans dix ou quinze ans, c’est assez facile. Mais ce qui compte, c’est la crédibilité du plan de décarbonation. Concrètement, ACT aide à structurer un plan de transition en identifiant les actions nécessaires, en mesurant leur impact et en offrant un cadre de suivi. L’ADEME s’engage d’ailleurs à aider les entreprises qui s’engagent dans cette démarche en finançant près de la moitié des consultants pour faire tout ce travail sous-jacent aux actions climat.
Avec ACT, les entreprises peuvent ainsi bénéficier d’une note basée sur des critères objectifs, ce qui leur permet de rassurer leurs investisseurs et leurs banques, de se démarquer face à leurs concurrents sur le plan de la crédibilité et de la durabilité et de répondre aux exigences croissantes des marchés publics. L’un des atouts majeurs d’ACT, c’est sa compatibilité avec les réglementations européennes, dont la CSRD, ce qui en fait un outil stratégique pour anticiper les évolutions réglementaires tout en transformant la transition écologique en levier de compétitivité.
“Plus que des objectifs hypothétiques, ce qui compte, c’est la crédibilité du plan de décarbonation d’une entreprise.”
Malgré ces avancées, le rythme de la transition semble toujours trop lent face à l’urgence climatique…
Il faut changer le regard sur la transition écologique. Ce n’est pas un sacrifice, c’est une opportunité. Quand on aide une entreprise à se décarboner, on préserve des emplois. Quand on passe à des énergies locales et renouvelables, on protège le pouvoir d’achat des citoyens contre les fluctuations des prix mondiaux. Quand on dépollue un site industriel – l’ADEME a en charge environ 300 sites pollués en France –,on préserve la santé publique. La transition écologique, c’est une transformation positive, et nous devons mieux raconter cette histoire collective.
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