Les microbiomes, qu’est-ce que c’est ?
Christian Bréchot : Ce sont d’immenses communautés complexes et organisées de milliards de bactéries. On a des milliards de bactéries dans l’intestin, on connaît leur importance pour la santé et leur lien à la nourriture. Il y a continuité entre le microbiome de notre intestin, ceux du sol et de l’océan. L’humanité fait face au changement climatique, aux pollutions, à des modes d’alimentation qui la menacent et les microbiomes sont un fil conducteur qui explique en grande partie ces menaces.
Que sait-on du rôle de ces microbiomes dans notre corps ?
Un individu est un équilibre entre cellules humaines et ces milliards de bactéries que l’on a dans le corps. Elles permettent le métabolisme du sucre et des lipides. Elles participent de la lutte contre le diabète, le surpoids, le cancer. En outre, elles sont fortement liées aux maladies dégénératives, à des maladies psychiatriques, à la dépression.
Et les microbiomes du sol ?
C’est pareil ! Le sol, c’est le tube digestif de la Terre. Les bactéries du sol nourrissent les plantes qui sont à la base de notre alimentation. Ce qui est fascinant, ce sont les interactions bilatérales : les microbes nourrissent les plantes et les plantes donnent des aliments aux bactéries qui les intéressent pour proliférer. C’est un système extraordinaire, à la fois dans l’intestin, les sols et les océans, où des bactéries un peu gendarmes nous protègent de celles qui sont dangereuses, d’autres qui sont sélectionnées pour les aliments intéressants pour l’humain, les plantes, les milieux marins. C’est un monde de communautés.
“Le sol, c’est le tube digestif de la Terre.”
Peut-on parler de microbiome par plante, par être humain ?
Oui, deux personnes vont avoir en commun 20-30 % de leur microbiome, ensuite chacun a son système influencé par la génétique, les habitudes de vie, l’alimentation, l’environnement. De même pour les plantes.
Pourquoi la santé des sols est-elle liée à la santé humaine ?
Nous sommes reliés au microbiome du sol aux niveaux quantitatif et qualitatif. Les microbiomes du sol interviennent dans la qualité des plantes, donc dans celle de la nourriture. La nourriture a un impact sur les bactéries du tube digestif. Nous ingérons directement des bactéries du sol et aussi celles qui se promènent dans l’air. On le voit avec la différence de microbiote des enfants élevés dans les fermes qui sont exposés très tôt au sol et à un air différent.
Peut-on soigner les sols agricoles comme on soigne les microbiomes humains ?
Chez l’être humain, on soigne avec des bactéries vivantes (probiotiques) ou tuées (prébiotiques) et, dans l’ingénierie des sols, on inocule des cocktails de bactéries. Les problèmes sont les mêmes : nous étudions comment un petit nombre de bactéries qui arrivent dans une communauté de milliards de bactéries (dans le tube digestif ou dans le sol) est toléré et influence le sort de ces milliards de bactéries. Il faut comprendre que les effets bénéfiques des pratiques agroécologiques passent par les microbiomes du sol et favorisent les rendements.
Les méthodes de guérison humaine vont servir à guérir le sol ?
Et inversement ! Un cocktail de bactéries sélectionnées et injectées dans la rhizosphère, à la jonction entre les plantes et les microbiomes du sol, modifie la qualité des légumes. Comme un probiotique introduit dans l’intestin humain guérit des diarrhées. Il serait intéressant que les chercheurs du microbiome humain lisent les publications de leurs collègues des microbiomes du sol.
“Un cocktail de bactéries sélectionnées et injectées […] à la jonction entre les plantes et les microbiomes du sol, modifie la qualité des légumes.”
Allons-nous vers des pharmacopées personnelles ?
Ce sera la médecine de précision comme il y aura une agriculture de précision. À l’avenir, nous aurons chacun notre carte d’identité génétique et l’on saura si tel probiotique ou tel médicament est efficace ou non.
Il est donc grand temps de changer de pratiques agricoles ?
Absolument. Il faut des modes de cultures agroécologiques qui respectent les microbiomes du sol, c’est fondamental.
Dans La Révolution des microbiomes (Odile Jacob, 2024), Christian Bréchot (professeur de médecine et chercheur) et Emmanuel Roux (expert des systèmes agroalimentaires) démontrent l’interdépendance des microbiomes du sol, de l’océan et de l’être humain.
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