Partager la publication "Olivier Thibault (OFB) : “On ne contrôle pas pour contrôler mais pour protéger”"
L’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public créé en 2020, issu de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Il emploie plus de 3 000 agents répartis sur tout le territoire et a pour mission la surveillance, la préservation, la gestion et la restauration de la biodiversité terrestre, aquatique et marine, ainsi que la gestion durable de l’eau. L’OFB exerce aussi la police de l’environnement, accompagne les politiques publiques, sensibilise et gère de nombreux espaces naturels protégés.
Depuis plusieurs mois, l’OFB est la cible d’attaques répétées, principalement de la part d’agriculteurs en colère contre les contrôles environnementaux mais aussi de personnalités politiques. Plusieurs locaux ont été dégradés ou incendiés, des agents menacés, et des actions spectaculaires menées (bureaux murés, sites bloqués, graffitis hostiles). Le 14 janvier 2025, le premier ministre François Bayrou a encore ajouté de l’huile sur le feu en déclarant : “Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture (…), c’est une humiliation et donc c’est une faute.” Le directeur général de l’OFB, Olivier Thibault, a répondu aux questions de WE DEMAIN.
Comment percevez-vous les degrés d’acceptation de la transition écologique par les différentes catégories sociales, notamment dans le contexte des récentes manifestations agricoles ?
Olivier Thibault : La transition écologique est une nécessité partagée, elle concerne chacun d’entre nous. Mais comme tout sujet impliquant l’ensemble de la société, sa perception varie selon les réalités économiques, sociales et culturelles de chacun. La majorité des agriculteurs comprennent l’importance de préserver les ressources naturelles et la biodiversité. La nature est leur principal outil de travail. Mais le contexte économique peut, à l’inverse, empêcher des évolutions.
Par ailleurs, sur le terrain, nos agents constatent une insécurité en lien avec la norme chez les exploitants. Certains ressentent ces exigences comme une contrainte, voire une menace. Les manifestations et les tensions agricoles traduisent en particulier ce malaise. Notre rôle à l’OFB est d’accompagner, d’expliquer et de faire respecter la loi dans un cadre équitable et proportionné.
Pourquoi la police de l’environnement est-elle armée et quel est le poids des contrôles agricoles dans l’ensemble de vos missions ?
L’armement des policiers de l’environnement s’explique simplement par la nature des situations et des missions auxquelles ils font face, notamment en zones isolées où des tensions peuvent survenir lors des contrôles, et la sécurité de nos agents est la priorité. Les contrôles agricoles sont une part mineure de nos interventions, à savoir 7,5 % en 2024.
L’OFB intervient aussi sur la chasse, la pêche, le braconnage, ou encore auprès des collectivités et des industriels. Concernant les exploitations agricoles, nos contrôles visent à vérifier le respect des normes relatives à l’eau, aux sols, aux pesticides, et à la préservation des zones naturelles protégées. On ne contrôle pas pour contrôler, mais pour protéger.
Combien d’actes de violence contre l’OFB en 2024, et comment analysez-vous ces attaques ?
En 2024, nous avons recensé une soixantaine d’incidents violents impliquant nos agents, comme des insultes, des dégradations et infractions de locaux, des banderoles de menaces… Un agent a vu sa voiture sabotée, en voulant rentrer de son service. Ces actes sont inacceptables et doivent être fermement condamnés, ce que nous avons fait.
Derrière cette violence, à la marge, se cache souvent une incompréhension de nos missions, et parfois une instrumentalisation politique. Ils témoignent aussi d’une mauvaise connaissance de nos missions. Notre réponse reste celle du dialogue, du droit et d’un engagement sans faille pour protéger la nature, qui nous est indispensable.
La justice environnementale est-elle assez armée juridiquement face aux actes antinatures ?
Des progrès ont été réalisés, notamment grâce à la reconnaissance de l’écocide et au renforcement des sanctions, mais la justice environnementale reste un domaine en évolution. L’OFB joue un rôle central en collectant des preuves, en rédigeant des procès-verbaux et en accompagnant les enquêtes en collaboration étroite avec les forces de l’ordre et les magistrats spécialisés. Cependant, il est essentiel que cette chaîne soit renforcée, par une meilleure information des parties prenantes, une meilleure formation des acteurs judiciaires aux enjeux spécifiques de l’environnement, ainsi que par des moyens adaptés pour traiter ces dossiers souvent complexes.
Les villes semblent plus sensibles à l’urgence climatique que les campagnes. Comment s’explique ce paradoxe ?
Les citadins perçoivent et subissent souvent plus directement les effets des canicules, de la dégradation de la qualité de l’air, des nuisances du bruit, voire des inondations. À l’inverse, dans les campagnes où la nature est omniprésente, le lien entre activités humaines et dégradations environnementales est parfois moins évident.
Pourtant le constat y est aussi sans appel. Il suffit de regarder les inondations dans le Nord ou les feux dans les Landes. Les effets du dérèglement climatique sont déjà parfaitement visibles, la biodiversité s’effondre et la perte du vivant impactera les urbains et les ruraux si l’on ne fait rien.
La remise en cause des normes environnementales, voire leur négation, est-elle un crime contre la pensée, un retour à l’obscurantisme ?
L’attaque des normes mais aussi des faits scientifiques ainsi que la montée de certains discours de déni sont effectivement préoccupantes. Elles traduisent une peur de l’avenir, une défiance envers la raison, l’expertise et la science, à une époque où ces dernières sont essentielles pour répondre aux crises climatiques. Cette forme de négationnisme environnemental met en péril non seulement la biodiversité, mais aussi le débat démocratique.
À l’OFB, nous travaillons au quotidien à contrer cela, via des campagnes de communication, en sensibilisant et en impliquant les acteurs mais aussi les citoyens via les Atlas de biodiversité communale (ABC), nos programmes engagés pour la nature… Tous les acteurs, que ce soient des entreprises, des collectivités, des fédérations, des associations, des professionnels ou encore des citoyens, doivent s’engager à leur mesure. Et l’OFB est là pour les rassembler !
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